Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/849

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sauvée ; mais voilà qu’au mépris de toute pudeur sa mère et sa tante la traînent sur les pas du fugitif. Elles courent après lui sur la route d’Italie, de poste en poste, de relai en relai. Enfin elles le rattrapent à Nevers, dans une hôtellerie. Là on lui rappelle sa promesse : il refuse d’abord, il répond qu’il ne sait ce qu’on lui veut ; enfin la mémoire lui revient, et alors commence une de ces scènes que Saint-Simon a seul le droit de raconter : « Aussitôt le consentement arraché, Mme Elbeuf et Mme de Pompadour, sa sœur, font monter l’aumônier de l’équipage du duc, qui le maria dans le moment. Dès que cela fut fait, tout ce qui était dans la chambre sortit pour laisser les mariés en liberté, quoi que pût dire et faire M. de Mantoue pour les retenir. Mme de pompadour se tint en dehors, sur le degré, à écouter près de la porte. Elle n’entendit qu’une conversation fort modeste et fort embarrassée, sans que les mariés s’approchassent l’un de l’autre. Elle demeura quelque temps de la sorte ; mais, jugeant enfin qu’il ne s’en pouvait espérer rien de mieux, et qu’à tout événement ce tête à tête serait susceptible de toutes les interprétations qu’on lui voudrait donner, elle céda aux cris que de temps en temps le duc de Mantoue faisait pour rappeler la compagnie. Mme de Pompadour appela sa soeur. Elles rentrèrent, et tout fut dit. »

Il était facile de prévoir les suites d’un tel mariage, et la malheureuse Suzanne ne les avait que trop pressenties. Bientôt sa situation devint intolérable. Exaspéré de la violence qu’il avait subie, le lâche duc de Mantoue s’en prit à celle qui en avait été la victime. Il l’accabla des plus mauvais traitemens, se plut à la rendre témoin de déportemens effrénés, la sacrifia à d’indignes rivales, l’entoura d’espions et de calomniateurs. Menacée dans sa réputation, même dans sa vie, sur le point d’être enfermée pour le reste de ses jours et d’en voir abréger le terme par quelque crime, la, duchesse de Mantoue parvint à tromper la surveillance de ses ennemis. N’ayant plus de recours que dans la pitié du roi, elle écrivit en secret à Mme de Maintenon qui l’avait vue naître et qui lavait aimée dès son enfance. Au nom de ces souvenirs, elle supplia Mme de Maintenon de l’aider à fuir, pour se soustraire au déshonneur et à la mort. « Quelque violent que soit mon état, écrivait-elle, quelque hardie que soit ma résolution, m’étant sacrifiée comme une victime à l’obéissance de mes parens, j’espère que la Providence, qui m’a conduite ici malgré mes répugnances et mes pressentimens, m’aidera à m’en tirer de manière à être plainte sans être condamnée. J’espère encore de la bonté du roi et de la vôtre, madame, tout le secret que requiert une affaire aussi délicate. Que personne, au nom de Dieu, ne puisse la pénétrer, pas même madame ma mère[1] ! »

  1. Lettres de madame de Maintenon, t. VII, 130.