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ville du Cusco est dominée par l’ancienne citadelle des Incas, vulgairement appelée Rodadero ou la glissade. Cette forteresse doit son nom à une longue pierre inclinée et légèrement creusée au centre, sur laquelle les enfant s’amusent à se laisser glisser. L’on assure gravement que c’était là un des passe-temps favoris des Incas. Cet enfantillage ne s’accorde guère avec les habitudes royales des descendans de Manco Capac. Le Rodadero est tellement à pic, qu’une pierre lancée de là par une fronde tomberait au milieu de la grande place, le centre de la ville. On y monte en traversant un long faubourg dont les rues sont de véritables escaliers. En arrivant, l’on est magnifiquement récompensé de la fatigue de l’ascension, car on se trouve en face de l’un des plus remarquables monumens de la puissance de l’ancienne race indienne. Le Rodadero se compose de trois murailles d’enceinte, entourant à angles saillans et rentrans un large mamelon qui domine la ville. Ces murailles sont formées d’énormes blocs de pierre taillés avec le même soin que les murs des temples et des palais de l’Inca. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que ces pierres ne sont pas taillées régulièrement ; plusieurs affectent des formes bizarres, comme celle d’une étoile avec plusieurs angles saillans ou rentrans d’un pied et les autres blocs qui avoisinent ces pierres sont taillés, de façon à s’adapter parfaitement à ces angles inégaux. Il est clair que cet enlacement des pierres était destiné à donner plus de force à la construction, car il eût été infiniment plus facile de les tailler carrément. Les constructions rappellent exactement, l’ordre cyclopéen de seconde époque.

Quand on parcourt cette forteresse, dont les trois.enceintes peuvent contenir dix mille soldats, quand les regards s’abaissent sur la ville du Cusco, qui, réduite au tiers de ses premières dimensions, renferme encore quarante-cinq mille habitans ; quand l’on songe qu’au nord de cette ville l’empire des Incas s’étendait jusqu’au royaume de Quito inclusivement, et au sud jusqu’aux extrémités du Chili, l’on se demande par quel prodige cent soixante-huit soldats, y compris leur chef, François Pizarre ou Piçarro, ont pu subjuguer cette ville et ce vaste empire. Les chroniques espagnoles répondent que Dieu voulait convertir à la foi catholique ces huit millions d’infidèles, et, en vérité, c’est la seule façon d’expliquer l’esprit d’aveuglement et de lâcheté qui s’était emparé des derniers descendans de cette race des Incas, auparavant Si constante, si sage et si habile.

Deux monticules dominent le Rodadero, ce qui devait être embarrassant pour ses défenseurs, et la preuve qu’au temps de la conquête ces deux monticules ne formaient aucun ouvrage avancé destiné à garantir les approches de la place, c’est que Jean Pizarre, qui s’était réfugié au Rodadero lors d’un soulèvement des Indiens, fut tué d’un coup de pierre lancée au moyen d’une fronde du haut de ce même