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par ses alliés naturels et condamnée par ses enfans mêmes. Il y avait long-temps que les imaginations vives et les ames ferventes se plaignaient d’elle. Ceux qui étaient impatiens d’émotions et de mouvement la trouvaient lente et bornée ; ceux qui avaient soif d’aimer la trouvaient froide. Mais aujourd’hui les premiers à l’accuser sont les gens sages, ceux qui ne demandent qu’à vivre en paix et se contentent de peu en fait de sentimens. Les calculs, même égoïstes, trompés, les intérêts, même matériels, ébranlés, s’en prennent à elle de leurs désappointemens. C’est un cri général pour demander quelque principe plus élevé et plus solide que ceux que la raison peut fournir. De toutes parts la raison est maudite, de toutes parts aussi la religion est invoquée par les soupirs des ames élevées déçues dans leurs espérances, par les cris de terreur des affections inquiètes, quelquefois même (ô profanation) par l’âpre clameur de la cupidité trompée. Si la religion était, comme on le croit généralement la rivale et l’implacable ennemie de la raison ; si elle avait souci d’exercer des représailles d’amour-propre, il n’y eut jamais de moment plus favorable pour se donner l’amer et stérile plaisir de la vengeance.

Faut-il saisir au vol cette occasion ? Faut-il prendre au mot ce découragement général ? La religion n’a-t-elle rien de mieux à faire qu’à triompher de cet abaissement de la raison- ? n’a-t-elle qu’à recevoir les aveux d’une société repentante ? Nous ne le pensons pas. Il ne serait, suivant nous, ni prudent ni juste d’abuser de la leçon sévère que les événemens contiennent pour passer en quelque sorte sur le corps de la raison humiliée. Après tout, cette société a beau mal parler aujourd’hui de la raison, elle n’en a pas moins été conçue, faite, formée par l’exercice indépendant de cette raison seule ; elle n’en est pas moins pénétrée par la raison dans tous ses pores, imbue de raison dans la moelle de ses os. Ne croyons donc pas trop vite aux anathèmes que lui arrache un moment de dépit ou de souffrance. On dit du mal de soi-même dans un jour de péril ou d’abattement ; que le danger s’éloigne ou que la force revienne, on court après ses paroles, on trouve surtout très mauvais qu’un autre les rappelle et s’apprête à tirer parti de nos aveux. Il ne faut pas fonder beaucoup plus d’espoir sur les querelles que notre société ; rationaliste par essence, cherche aujourd’hui à la raison. Donnez-lui le temps de respirer, et elle se remettra à raisonner et à déraisonner aussi de plus belle. Si ce découragement d’ailleurs était aussi profond qu’il est vif dans son expression, si la France en était venue à passer condamnation sur le principe de tout ce qu’elle a fait et cru depuis cinquante ans, nous ne savons si le vide, laissé par la raison serait aussi facilement qu’on le pense comblé par la foi. Ce serait faire injure à la foi que de supposer qu’elle peut, sans miracle, naître de la source impure du dégoût. Ce que les révolutions,