Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/919

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par leurs brusques reviremens, ont ébranlé dans nos ames, ce n’est pas seulement la faculté de raisonner, c’est, aussi la faculté de croire. L’une et l’autre supposent une certaine virilité d’ame, une certaine jeunesse de sentiment qui s’accorde mal avec ce mélange de satiété de fatigue dont tout le monde est atteint aujourd’hui. Le malaise que donnent le tourbillonnement confus des événemens devant les yeux et l’agitation monotone du sol qui nous porte agit sur le cœur au moins autant que sur l’intelligence. C’est un affadissement général qui ôte à toute vérité son effet, au sel de la terre sa saveur. S’il est possible que la foi naisse chez un individu uniquement du désenchantement des ambitions et des espérances, c’est que ce retour coïncide avec l’âge naturel du repos et l’affaiblissement, graduel des passions ; mais cela n’est pas, possible pour une société qui a toujours une tâche à remplir, et à qui chaque génération apporte un contingent d’activité et de passion. Quelques aveux incohérens et entrecoupés, de sinistres pressentimens, un vague désir de paix ; ces douteux indices de la conversion d’un mourant, ne suffisent pas pour faire couler dans les veines d’une société vieillie le sang nouveau d’une régénération morale.

Nous concevons pour la religion un meilleur parti à tirer de la réaction actuelle des esprits que le simple plaisir de voir la raison dans l’embarras ; nous imaginons pour ses défenseurs un plus noble rôle à remplir. La raison est fort désappointée du mauvais succès de ses efforts : au lieu d’essayer de l’écraser (les convulsions de son agonie seraient encore redoutables), c’est à la religion de lui proposer sur des bases équitables une alliance qui la relève et l’affermisse. De telles ouvertures eussent été fort mal reçues il y a peu d’années, quand la raison avait le verbe haut et n’admettait ni subordination ni partage. Nous concevons alors que les polémiques religieuses furent réduites à prendre avec la raison le ton parfois provoquant, toujours belliqueux, qui caractérise trop souvent l’école théologique du commencement de ce siècle. Il n’y avait peut-être que ce moyen d’inquiéter la raison dans sa dédaigneuse omnipotence. La raison opprimait la foi : il est naturel que la foi, pour s’affranchir ; courût aux armes de l’insurrection. Le terrain n’est plus le même aujourd’hui : la religion a repris dans la discussion l’avantage sur la raison. Cet avantage est plus apparent que réel ; c’est plutôt un hasard de journée qu’une conquête véritable. Pour assurer, pour enraciner, pour nationaliser, si on peut parler ainsi, une telle conquête ; qui peut à chaque moment échapper, la religion doit s’emparer de l’assentiment libre, sincère, raisonné, d’une société qui, bon gré mal gré, nous l’avons dit, raisonne toujours. Pour achever de vaincre la raison, il n’y a pas d’autre moyen que de la convaincre, et pour la convaincre, il faut s’adresser à elle avec franchise, avec sévérité