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un prétexte à faire miroiter du satin ou à lutiner la mousseline qui couvre un beau sein. Enfin il réussit à détourner l’attention du spectateur sur de rians détails qu’on n’apercevait pas, soyez-en persuadé, dans cette heure solennelle, en admettant même qu’ils existassent : sur la gorge demi-nue de la princesse de Monaco par exemple, sur un certain corsage vert pomme de Mlle de Coigny se roulant sur les genoux de l’évêque d’Agde avec des coquetteries de prunelle pour André Chénier, qui seul, assis sur le premier plan un crayon et un papier à la main, compose son dernier iambe interrompu. L’idée d’abstraire le poète du tumulte de la scène était bonne, mais à la condition de ne pas la pousser trop loin. J’aurais supprimé le papier et le crayon ; si vous laissez croire que Chénier s’occupe encore à cet instant de chercher une rime, vous le rendez misérable et froid. Combien plus vrais et plus humains sont cette vieille marquise de Colbert disant son chapelet ; et M. de Roquelaure cuirassé dans son impassibilité stoïque de soldat ! Ce n’est pas dans Théocrite et dans Catulle qu’ils ont appris ; ceux-là, le dédain de la mort. La date du 7 thermidor n’est restée, nous le savons, que parce qu’elle est liée au nom de Chénier, et il semble de prime abord tout naturel que M. Müller ait voulu faire du poète le principal personnage de son tableau, et l’ait placé au milieu de la toile, concentrant sur sa tête la plus grande masse de lumière. Cependant, pour peu qu’on y réfléchisse, on s’apercevra que c’est une erreur : pour les prisonniers d’ abord et pour nous ensuite, ce n’est pas Chénier qui est le personnage important, mais bien l’homme à l’écharpe et aux culottes jaunes lisant sa liste au second plan ; c’est vers celui-ci que se tendent tous les yeux ; c’est à sa bouche que chacun est suspendu. Dans la foule qui regarde le tableau de M. Müller, il en est beaucoup qui ne savent pas ce que c’est que Chénier, qui ne comprennent ni son crayon ni son air inspire, et, sans s’arrêter à ce personnage, vont tout de suite à celui qui leur donne la clé de toute la scène. Pour s’être exclusivement préoccupé du côté anecdotique, M. Müller a donc manqué l’unité de son tableau. Mieux eût valu ne faire du poète qu’un accessoire et le reléguer à droite ou à gauche, où nous aurions su assez bien le trouver. Dans les arts, l’idée simple doit toujours avoir le pas sur l’idée composée ; avant de s’adresser aux ingénieux, aux délicats et aux érudits, il faut d’abord être compris par le peuple.

L’huissier est la figure la mieux peinte du tableau de M. Müller. Son visage contracté exprime bien la dureté d’habitude et peut être de commande, que lui donnent ses fonctions ; il y a aussi quelques porte-piques d’une férocité et d’une stupidité très naturelles. M. Müller ne saurait-il donc réussir que ces sortes d’expressions ? Là où il eût fallu mettre de la grandeur, de la noblesse, il échoue complètement. Voyez