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— Partons ! m’écriai-je ; mais, s’il en est ainsi, pourquoi ne pas avertir le général et lui demander un millier d’hommes ?

— Pourquoi ? reprit Valdivia, c’est que le général n’est plus maître de ses troupes, et qu’un ordre qu’il donnerait en ce moment hâterait l’explosion d’un complot qui doit livrer l’armée aux Espagnols. Oui, seigneur capitaine, si nous n’enlevons pas tout de suite l’hacienda de San-Eustaquio, où j’ai pu me glisser seul et remplir cette outre, demain le général Rayon n’aura plus un soldat. Il y a un traître parmi nous, et ce traître n’est autre que le général Ponce.

Comme Valdivia achevait de parler, un grand tumulte se fit entendre à l’une des extrémités du camp, puis grossit bientôt. Des torches allaient et venaient de tous côtés, éclairant des groupes de soldats dont les cris arrivaient jusqu’à nous. À la lueur des torches, nous vîmes le général Rayon quitter sa tente et s’avancer seul, la tête nue, vers les plus furieux ; mais sa voix d’ordinaire si respectée, semblait méconnue.

— Je m’étais trompé d’un jour, reprit Valdivia ; cependant le général aura probablement raison des mécontens jusqu’au lever du soleil ; partons, il n’y a pas de temps à perdre, il faut que cette nuit nous puissions revenir annoncer au général que ses troupes auront de l’eau demain.

Le tumulte continuait toujours, quoique moins bruyant, et la voix du général, qui arrivait jusqu’à nous, dominait de plus en plus celle des soldats mutinés. Je montai à cheval ; et j’engageai Valdivia à en faire autant. — Il faut d’abord, me répondit-il, que je vous amène une sentinelle ennemie dont j’ai eu soin de me munir.

Et sans prendre la peine de m’expliquer ces paroles énigmatiques, Valdivia s’éloigna ; mais je ne tardai pas à le voir revenir, portant sous son bras une masse noire et mouvante. Quand il fut près de moi, je reconnus que cette masse était un homme revêtu du costume de lancier espagnol. Valdivia mit l’homme à terre, délia ses cordes, et le fit monter en croupe derrière lui. Mon robuste compagnon avait trouvé que le plus court moyen de se glisser jusqu’au puits de l’hacienda était de garrotter la sentinelle placée près de la citerne, et de nous l’adjoindre comme un guide nécessaire dans notre excursion nocturne. Comment il avait mené à bien ce hardi coup de main, comment il avait enlevé de terre et lié sur son cheval le lancier espagnol ? Valdivia n’avait pas besoin de me le dire, et ses bras nerveux m’en apprenaient à cet égard plus que ses paroles. Le camp étant redevenu calme pendant la courte absence de Valdivia, il ne nous restait qu’à continuer bravement l’entreprise si heureusement commencée. Nous allâmes donc sans retard rejoindre les cavaliers qui nous attendaient dans la plaine, et, à la tête de cette petite troupe, nous chevauchâmes vers l’hacienda, éperonnant de notre mieux nos chevaux épuisés. Pendant le trajet, nous interrogeâmes