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hommes, qui en a soumis des millions, lui dirait, en la quittant, des paroles solennelles d’estime, et de glorification. Qu’est-ce pourtant que les novissima verba de sir Charles Napier ? Une mercuriale impitoyable contre les officiers qui s’endettent. En faisant aussi grande qu’on voudra la part des singularités du brave général, il n’en faut pas moins reconnaître que le mal est assez sérieux pour provoquer une rigoureuse vigilance. Déjà sir Charles Napier avait eu occasion de manifester ses sentimens de discipline puritaine en déférant aux conseils de guerre des coupables auxquels il apprenait pour ainsi dire leurs crimes, et qu’il ne trouvait jamais assez punis. Son dernier ordre du jour signale minutieusement les excès dont il voulait purger l’armée britannique. Il fait à ses officiers, presque en passant et comme si la chose allait sans dire, de brusques complimens sur leur valeur et sur leurs prouesses ; il les tient pour de bons soldats, il leur reproche de n’être pas bons gentlemen. « Le nombre des officiers dit-il, qui se sont comportés d’une manière messéante chez un gentleman n’est pas démesuré, mais il est encore assez considérable pour demander la répression d’une main vigoureuse ; » puis il entame sans plus d’égards le catalogue lamentable des raisons pour lesquelles un officier anglais ne paie pas ses créanciers, — la mauvaise éducation de quelques jeunes gens qui se font donner des commissions mal placées, le mauvais esprit qui pousse des échappés de l’école à faire assaut de prodigalité, la facilité usurière des préteurs, l’extravagance des tables de régimens, etc.. On sait que les officiers anglais vivent à des tables communes dont l’entretien est à la fois une affaire de luxe et d’étiquette ; il en coûte naturellement plus cher à l’armée de l’Inde qu’ailleurs pour boire du vin de Champagne, et sir Charles Napier n’oublie pas dans sa philippique les scandales trop souvent donné au sujet de ce vin qu’on achète au lieu de payer les gages de ses domestiques.

Nous ne prenons pas plus au grave qu’on ne doit le faire cette boutade d’un vieux soldat ; nous n’y voyons qu’une esquisse de mœurs, et un trait de caractère ; nous sommes loin de penser qu’on ait le droit d’en tirer des inductions trop sévères pour l’honneur de l’armée anglaise. Aux vertes incriminations de son chef, cette vaillante armée de l’Inde peut opposer la constance avec laquelle elle a fait un empire. Cet empire n’est point éphémère ; il est protégé par sa situation géographique, par l’humilité originelle et la dépendance presque volontaire des nations conquises par la douceur ou l’impuissance des nations voisines, par l’éloignement des états militaires de l’Europe. C’est un rêve de croire que les Russes iront jamais chercher l’Inde anglaise à travers la Perse ; l’Inde anglaisé aurait d’ailleurs pour les recevoir 300,000 hommes de troupes tant européennes qu’indigènes, et les ressources d’un revenu de 18 millions sterling. Toute la question est que ce revenu ne soit point perpétuellement au-dessous de la dépense ; nous avons déjà dit que c’était là le vrai péril qui menaçait le gouvernement indien. Il a presque un huitième de ses recettes absorbé par le paiement de sa dette, et il ne lui reste pas en réalité 16 millions de disponibles. Ces recettes ne sont pas de nature à s’accroître, et si on ne les ménageait à temps, on courrait peut-être le risque de voir un jour la solde militaire en retard sur tous les points de ce vaste territoire, et ce serait le signal de la seule catastrophe qui puisse le bouleverser de la mutinerie des régimens indiens. L’Angleterre ne saurait aviser trop promptement à la réforme d’un