Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/987

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

budget si essentiel. Il faut espérer que ceux qui l’entreprendront seront plus heureux que sir Charles Wood dans la confection du budget de la métropole.

ALEXANDRE THOMAS.

Théodore Leclercq, l’auteur des Proverbes dramatiques, est mort le 15 février à la suite d’une douloureuse maladie, dont il avait ressenti les premières atteintes il y a près de trois ans. Personne n’avait mieux conservé ces traditions de politesse et d’urbanité qui distinguaient la société française du XVIIIe siècle, et qui sont peut-être incompatibles avec le développement des mœurs constitutionnelles ; mais les manières de M. Théodore Leclercq n’étaient pas de celles qui s’apprennent et qui sont à l’usage de tout le monde. Elles étaient l’expression d’un esprit vif et délicat, d’un cœur bienveillant et expansif. Ajoutez à cela un enjouement plein de grace, une certaine coquetterie naturelle, et, surtout le désir de plaire, disposition qui n’a rien de commun avec le désir de briller. M. Leclercq voulait se faire aimer, et il y réussissait. Un bon mot s’arrêtait sur ses lèvres s’il pouvait blesser quelque susceptibilité, et il semblait ne vouloir se servir de son esprit que pour mettre en relief celui des autres.

Sa conversation était charmante. Personne n’a su raconter plus agréablement. On pouvait deviner l’auteur, et l’acteur des Proverbes aux changemens rapides de sa physionomie et aux expressions variées de sa voix ; mais tout cela était si naturel, si improvisé ; qu’un sot même n’eût osé l’accuser de préparation. Sa gaieté était communicative, et nous n’y pouvions résister nous-mêmes, nous autres grands enfans du XIXe siècle, qui nous étudions à être graves et tristes. Dans les dernières années de sa vie, M. Leclercq fut éprouvé par des pertes cruelles. La mort d’une sœur et celle de M. Fiévée, son ami enfance, dont il ne s’était jamais séparé, lui portèrent un coup terrible. On le retrouva toujours bienveillant, aimable, spirituel ; mais sa gaieté devant ses hôtes était un effort, et l’on sentait que l’effort était douloureux.

Il était ne à Paris, en 1777, d’une famille honorable et dans l’aisance. Ses parens voulaient qu’il fît quelque chose, qu’il eût un état, et lui ne se trouvait pas de vocation décidée. On eut quelque peine à lui faire accepter une place dans les finances qui n’exigeait que peu de soins, peu de travail, et qui rapportait des émolumens considérables, fort au-dessus de son ambition de jeune homme. Au bout de quelques mois, la charge parut trop lourde à son humeur indépendante. Une caisse à garder, des subalternes à surveiller, des réprimandes à faire, des solliciteurs à éconduire, que de tracas ! il en perdait la tête. Sa responsabilité, c’était comme un spectre attaché à ses pas. Il se dit, après dix-huit mois de gestion, qu’il n’avait que faire de tant d’argent, que sa liberté valait cent fois mieux, et, sa démission donnée, il se retrouva aussi heureux que le savetier de son proverbe, lorsqu’il s’est débarrassé du sac d’écus.

C’est à Mme de Genlis qu’il dut la révélation de son talent dramatique. Un jour elle daigna le choisir pour lui donner la réplique dans un proverbe qu’elle jouait en bonne et nombreuse compagnie. Le rôle de Mme de Genlis était celui d’une femme de lettres ridicule (je pense qu’elle le jouait assez bien) ; M. Leclercq représentait un jeune poète à sa première élégie. Dans un aparté de