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de l’aveugler, lui montraient plus clairement toutes les lacunes de son éducation. Il voulait savoir plus nettement, plus complètement, ce qu’il était censé savoir, et, pour résoudre les doutes qu’il avait amassés dans sa mémoire, il n’hésita pas à reprendre successivement tous les élémens des connaissances humaines. Je ne veux pas m’arrêter à discuter le témoignage des biographes sur les années passées à Genève par M. Guizot. Il m’importe peu de savoir si le jeune écolier, épris d’un amour précoce pour l’autorité, prenait parti pour sa mère contre lui-même toutes les fois que son grand-père et sa grand’mère inclinaient à l’indulgence et voulaient lui épargner un châtiment mérité. Il y a en effet dans ces renseignemens, vrais ou faux, quelque chose de puéril et d’invraisemblable qui excite plutôt le sourire que l’attention. Il me suffit de rappeler que M. Guizot, livré à lui-même, mécontent de son savoir, entreprit courageusement de le compléter, de l’asseoir sur des bases plus solides, et voulut éprouver une à une toutes les idées qu’il avait acquises. Certes, une pareille résolution révèle chez le jeune homme qui la conçoit une trempe d’ame singulièrement énergique, et ce n’est pas merveille si, après cette rude initiation, il s’est trouvé préparé aux travaux les plus difficiles. Lié d’amitié avec M. Stapfer, qui connaissait à fond tous les mystères de la philosophie allemande, il contracta de bonne heure le goût ou plutôt la passion des idées générales, et cette passion a dominé toute sa vie. Le commerce de Kant a imprimé à tous ses travaux un caractère d’élévation que l’enseignement des collèges de Paris ne connaît guère. C’est dans les œuvres de Kant qu’il a puisé l’habitude de placer les idées au-dessus des faits, et, si parfois il lui est arrivé de pousser trop loin cette prédilection, je reconnais pourtant qu’elle l’a mis à l’abri des habitudes mesquines préconisées de nos jours comme le dernier mot de la science historique.

C’est à M. Stapfer, c’est à Kant que M. Guizot doit son respect pour les résultats généraux des événemens et son dédain pour les faits particuliers. Sans M. Stapfer et sans le philosophe de Koenigsberg, il eût peut-être confondu l’histoire et la chronique. Ses relations avec Suard, avec Fontanes, ne lui ont pas porté un moindre profit. Suard en effet, en lui ouvrant les colonnes du Publiciste, lui enseigna de bonne heure l’art d’exprimer clairement sa pensée dans un bref délai, et certes ce n’est pas un médiocre service. Quant à Fontanes, il lui rendit un service encore plus important : il lui ouvrit les portes de la Sorbonne et le nomma professeur d’histoire moderne. Or, quelles que fussent les connaissances de M. Guizot, il faut bien avouer que, sans l’assistance de M. de Fontanes, il n’eût jamais pu prétendre si tôt à ces fonctions éminentes, car, lorsqu’il fut chargé de cet enseignement difficile, il n’avait que vingt-cinq ans. La suite de ses travaux a prouvé