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lui pardonner les idées générales qu’il exprime sur la peinture et la statuaire. Sur la foi d’une pierre gravée qui représente Prométhée construisant l’homme nouveau pour l’animer du feu dérobé à Jupiter, il affirme que les sculpteurs construisent le squelette avant de poser les muscles, et, pour donner à sa méprise un caractère complet de naïveté, il distingue les muscles de la chair. Or ce trait d’ignorance, à peine excusable en 1810, réimprimé quarante ans plus tard, amènera le sourire sur toutes les lèvres. S’il est permis en effet d’ignorer, il n’est jamais permis de parler des choses qu’on ignore, et cette vérité est tellement vulgaire que je n’ai pas besoin d’insister. Que M. Guizot, à l’âge de vingt-trois ans, ait préféré Gérard à Gros, qu’il ait préféré non pas les compositions, mais la peinture de Gros, à la peinture de Prudhon, c’est un enfantillage sans importance ; mais qu’il prenne l’œuvre de Prométhée pour le type de la statuaire, et qu’il s’aventure à parler des choses dont il ne sait pas le premier mot, c’est une faute que rien ne peut justifier. Distinguer la chair des muscles équivaut à séparer la fleur du calice, des pétales, des étamines et des pistils. La chair et les muscles sont une seule et même chose, personne ne l’ignore, ou du moins ceux qui ne le savent pas s’abstiennent d’en parler.

Ce n’est pas là pourtant le seul sujet d’étonnement que me présente le salon de 1810, analysé par M. Guizot. L’auteur, qui parle avec tant d’assurance des secrets techniques auxquels il n’a jamais pris la peine de s’initier, qui voit dans Prométhée le type du statuaire, qui ne sait pas même de quels élémens se compose le corps humain, n’émet pas une idée générale sans la placer sous la protection de Vasari ou de Lanzi, de Lessing ou de Mengs. Or, parmi ces quatre écrivains, Lessing seul jouit de quelque autorité en matière esthétique, et cependant il ne faut accepter ses décisions qu’avec réserve, car il a vécu dans la région des idées pures plus souvent que dans le domaine des arts ; il a plus souvent contemplé sa propre pensée que les tableaux et les statues dont il voulait parler. Vasari n’a de valeur que pour les renseignemens biographiques : ses jugemens sont empreints d’une emphase uniforme. Lanzi compte et pèse les témoignages dans son cabinet, et n’a pas, à proprement parler, de signification personnelle, et d’ailleurs il lui arrive trop souvent de parler des œuvres qu’il n’a pas vues. Quant à Mengs, c’est un rhéteur qui trouve pour tous les sujets des paroles abondantes, et je ne comprends pas que M. Guizot le cite à tout propos comme une autorité sans appel. Les préceptes dont l’application donne le plafond de la villa Albani ne méritent aucun crédit.

Et, comme si ce n’était pas assez de prodiguer les citations de Vasari, de Lanzi, de Lessing et de Mengs, M. Guizot prodigue avec la même complaisance les citations de Milton. Heureux et fier de lire sans effort le Paradis perdu, il en détache des lambeaux et les propose aux