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une question spéciale ont acquis une telle importance, qu’ils forment par eux-mêmes une œuvre complète, et le lecteur n’attend plus rien lorsqu’il achève la dernière page de cet exorde démesuré.

C’est là sans doute un grave défaut, personne n’oserait le nier ; ce n’est pourtant pas le défaut unique de cette biographie. Je dis biographie, parce qu’il a plu à M. Guizot de baptiser ainsi son travail, bien que rien ne mérite moins une telle dénomination. Non-seulement il n’a établi aucune proportion entre les diverses parties de son œuvre, mais il ne les a soumises à aucun ordre. Une fois en effet qu’il abandonne le terrain de la discussion générale pour étudier l’histoire du théâtre anglais au XIVe siècle, il prend pour méthode le caprice et le hasard. Il entasse pêle-mêle tous ses souvenirs et va de l’anecdote au raisonnement, du raisonnement à l’anecdote, sans prendre aucun souci de l’intelligence et de la patience du lecteur. La logique joue un rôle si modeste dans l’enchaînement de ses pensées, que la plupart des pages n’ont pas de place nécessaire, c’est-à-dire que la seconde ne procède pas de la première ni la troisième de la seconde : en d’autres termes, l’argumentation manque de rigueur. Or une telle méthode, appliquée avec persévérance ou plutôt avec insouciance, ne peut captiver l’attention du lecteur. Et en effet, malgré la nouveauté des documens réunis par M. Guizot, la Vie de Shakespeare fatigue bientôt l’esprit le plus fermement résolu à s’instruire. Les révélations les plus inattendues, qui nous offriraient un vif intérêt, si le rang qui leur est assigné était réglé par la logique, perdent la moitié de leur puissance, grace au caprice de l’auteur. Nous avons beau reconnaître qu’après avoir étudié Rowe, Steevens, Johnson, Malone et Drake, il n’a regretté ni temps ni veilles pour ajouter quelques vérités nouvelles aux vérités laborieusement recueillies par ces esprits ingénieux : la patience ne tarde pas à se lasser, parce que l’auteur se promène au hasard dans le champ de l’érudition, au lieu de marcher d’un pas résolu vers un but déterminé.

Cependant il y a dans ce travail plusieurs parties très recommandables. Ainsi l’auteur explique très bien en quoi consiste le mérite des comédies de Shakespeare. Il montre clairement que ces comédies ne doivent pas être jugées d’après le type consacré en France par le génie de Volière. Ce serait en effet une souveraine injustice de vouloir estimer le Songe d’une nuit d’été et Comme il vous plaira en les comparant aux œuvres de Plaute et de Térence. Les comédies de Shakespeare ne relèvent que de la fantaisie ; il ne faut donc pas leur demander la peinture des mœurs ; ce serait se condamner à méconnaître les qualités précieuses qui les distinguent. La fantaisie peut-elle et doit-elle régir absolument la comédie ? Je ne le pense pas, et mon avis sera sans doute partagé par la majorité des lecteurs. Aristophane, lors