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magique ; ils n’ont qu’un but : exciter la curiosité. M. Guizot montre clairement que Shakespeare, en écrivant ses histoires, suivait le goût de la foule plutôt que son goût personnel, et n’a donné la mesure complète de son génie que dans ses œuvres tragiques. Les poètes qui ont écrit pour la scène française depuis vingt ans paraissent ignorer cette vérité. Ils substituent avec une obstination acharnée la succession des événemens au développement des caractères, c’est-à-dire qu’ils ne comprennent pas l’intervalle immense qui sépare Richard III de Henri VIII. Si je ne craignais pas de leur donner un conseil inutile, je leur dirais de lire et de méditer les paroles de M. Guizot. Ils trouveraient dans les pages consacrées à Richard III le secret de leur impuissance et de l’oubli qui proteste aujourd’hui contre les fanfares prodiguées à leurs ébauches. Le talent ne leur a pas manqué : ils ont revêtu de formes éclatantes des sentimens qui ne sont pas dépourvus de vérité, ils ont assoupli le langage et dégagé l’alexandrin des entraves inventées par le XVIIe siècle ; mais ils n’ont pas compris que le théâtre vit d’action et non d’événemens. L’action se prête au développement des caractères, tandis que les événemens les dévorent et les engloutissent. La comparaison de Richard III et de Henri VIII établit sans réplique la légitimité de cette affirmation. C’est pourquoi je ne saurais recommander trop vivement les pages où M. Guizot discute cette question. Il n’y a pas une de ses paroles qui ne s’applique avec une précision mathématique aux œuvres écrites pour la scène française dans les dernières années de la restauration et dans les premières années de la royauté nouvelle. Si Richard III est la seule histoire de Shakespeare qui puisse se comparer à ses tragédies, c’est que Richard III est le pivot de l’action, tandis que Henri IV, Henri V, Henri VI, baptisent l’action sans la conduire. Henri VIII, malgré l’énergie de son caractère, ne régit pas l’action tout entière ; les événemens, dans la pièce qui porte son nom, tiennent trop de place pour que sa pensée se développe librement. M. Guizot a si nettement marqué la limite qui sépare les événemens de l’action, que je renvoie à la lecture de son travail les poètes de notre temps. En étudiant ces pages nourries de faits et d’argumens vigoureux, ils comprendront pourquoi leurs œuvres applaudies d’abord avec tant d’empressement sont aujourd’hui oubliées et ne reparaissent que pour exciter l’indifférence.

Lors même que les pages de M. Guizot ne posséderaient pas d’autre mérite, il faudrait encore les recommander, car il n’est pas sans intérêt de voir les aberrations de l’imagination française condamnées par l’analyse des œuvres de Shakespeare. Les poètes qui se donnent chez nous pour les régénérateurs de la scène prétendent suivre les leçons du poète de Stratford. Or M. Guizot, qui a long-temps vécu dans la familiarité de ce puissant génie, démontre avec la dernière évidence