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qu’il a écrites sur l’immortalité de l’ame semblent tracées par la plume d’un solitaire qui n’aurait jamais feuilleté un seul des livres écrits sur cette matière. L’auteur dogmatise avec emphase et ne réussit à prouver qu’une seule chose, c’est qu’il ignore la pensée des hommes qui l’ont précédé et n’a pas lui-même d’opinion parfaitement arrêtée sur le sujet qu’il a entrepris de traiter. Ces pages nous offrent à coup sûr une des lectures les plus stériles qui se puissent imaginer. Qu’enseigne-t-il en effet ? Il ne connaît pas et ne peut rappeler l’opinion des philosophes sur cette question délicate, et pourtant il prétend opposer les idées scientifiques aux idées populaires ; mais il est trop visible qu’il marche à tâtons dans une route mystérieuse et imprévue. Plein de confiance dans sa pénétration, il s’est donné pour mission de deviner à la fois les idées populaires et les idées scientifiques. Aussi je ne m’étonne pas de son double échec : il n’a pas étudié les instincts de la foule et ne saurait les analyser ; quant à la philosophie proprement dite, il ne la connaît guère que par les conversations de M. Stapfer, et, comme M. Stapfer n’a jamais porté son attention d’une manière spéciale que sur la philosophie allemande, il est tout simple que M. Guizot ne soit versé ni dans la philosophie orientale, ni dans la philosophie grecque, ni dans la philosophie du moyen-âge. Arrivé à l’analyse des idées qu’il lui plaît d’appeler scientifiques, il se montre encore plus incertain, il hésite plus souvent encore que dans l’analyse des idées populaires : il prétend tirer tout de lui-même et ne prend pas la peine de feuilleter les livres où se trouvent exposés les systèmes qu’il veut juger. C’est une présomption singulière dans l’esprit d’un homme qui a franchi la jeunesse. M. Guizot a voulu voir s’il savait la philosophie, et nous a très bien prouvé qu’il l’ignore. Les pensées qu’il a réunies sur l’immortalité de l’ame ne relèvent, à proprement parler, ni des sentimens instinctifs de la foule, ni des théories conçues par la philosophie : c’est une collection de lieux-communs qui n’apprennent rien aux hommes habitués à la réflexion et qui ne suscitent aucune pensée inattendue dans l’ame des lecteurs étrangers à la science, — c’est-à-dire que ces pages sont parfaitement inutiles. Il faut croire pourtant qu’il ne s’est rencontré personne d’assez franc pour dire à M. Guizot qu’il jouait sa renommée en parlant de philosophie, car dix ans plus tard, lorsqu’il entrait à l’Académie française, ayant à louer son prédécesseur selon l’usage traditionnel, il a prouvé qu’il avait à peine feuilleté les œuvres de M. de Tracy et qu’il ne connaissait pas l’histoire de la philosophie française au XVIIIe siècle. Il a mis sur le compte d’Helvétius et de Condillac les opinions de Hume et de Berkley, comme s’il eût parlé devant des auditeurs incapables de redresser ses bévues. Or, si la foule a écouté avec indifférence ses affirmations téméraires, les esprits studieux qui, avant de traiter un sujet