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Le seigneur Germano prit un plaisir infini à regarder de près et dans tous ses détails ce littoral de Messine à Catane dont on ne saurait goûter le charme pittoresque par la portière d’un carrosse. La route située entre la chaîne de l’Etna et le rivage de la mer Ionienne offre à chaque pas des points de vue admirables. Cependant, aux environs de Forza, le marquis découvrit devant lui un vaste espace de terrain où serpentait la route poudreuse au bout de laquelle paraissait Taormine sur son rocher comme un nid de colombe. — C’est à présent, dit le voyageur, que maître Carlo peut déployer ses talens pour occuper nos loisirs pendant ce dernier trajet. Un peu de musique viendrait à propos.

Carlo prit sa guitare, joua un prélude fort long et se mit à chanter à tue-tête, d’une voix haute et sur un mode lent et cadencé dont le pas de son mulet marquait la mesure, une romance de sa composition qui obtenait alors un brillant succès sur tous les chemins de la Sicile. Pour donner un échantillon d’un morceau de ce mérite, il faut que la traduction en soit d’une fidélité scrupuleuse. Le premier couplet contenait ce qui suit :

Ce mulet que tu m’as vendu,
Il avait les yeux louches
Et mangés par les mouches.
Tu me dois un écu.

Afin de laisser à son auditeur le temps de méditer cette belle entrée en matière, le musicien répéta sur sa guitare sa ritournelle mélancolique, et il reprit :

À terre il est tombé deux fois.
Ô la maudite bête !
Il m’a fendu la tête.
Deux écus tu me dois.

— À combien d’écus, demanda le marquis, l’indemnité s’élèvera-t-elle ?

— À cent, répondit Carlo en sonnant de sa guitare.

— Oh !! reprit le seigneur Germano, voici un poème de longue haleine.

Le chanteur poursuivit :

J’avais rendez-vous dans un bois
Avec la grande Lise,
Qui n’a qu’une chemise.
Trois écus tu me dois.

— Mon garçon, dit le marquis, si tu supprimais la ritournelle, je connaîtrais une heure plus tôt le dénoûment de ta popolana.