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Saint-Louis du Mississipi et New-York, de sorte que, pour une faible dépense, les farines venant de plus de 400 lieues de l’intérieur des terres seront amenées sur la côte au navire qui les emportera en Europe. L’homme est un ouvrier intelligent, mais son esprit ne suffit pas toujours à embrasser la portée de l’œuvre qu’il accomplit. En défrichant les solitudes de l’Amérique ou les steppes des bords de la mer Noire, en multipliant les voies de communication et décuplant leur rapidité, il n’a pas prévu toutes les conséquences de ces changemens, ni la grandeur de leurs résultats. Le pauvre émigrant suisse qui a abandonné ses montagnes pour les plaines du Mississipi, en se reposant le soir de son pénible labeur, ne se doute guère que le produit de son travail va troubler l’économie industrielle de ces vallées dont le souvenir le poursuit. Il en est ainsi cependant. Les perfectionnemens de l’agriculture, l’accroissement des défrichemens dans des contrées jusqu’alors désertes et la création des chemins de fer opèrent dans l’économie sociale une révolution dont l’Europe commence seulement à ressentir les premiers effets.

Il n’est pas au pouvoir de la confédération helvétique d’arrêter ou de prévenir les conséquences d’un changement dont les causes sont en dehors d’elle-même. D’ailleurs l’industrie suisse voit avec plaisir un ordre de choses qui doit maintenir la vie à bon marché, elle en a besoin pour soutenir la concurrence au dedans et au dehors. L’agriculture subit, comme l’industrie, comme toutes choses en ce monde, les révolutions qu’amène le déplacement des intérêts. Il y a cinquante ans, la Suisse occidentale possédait des manufactures de toiles peintes dont le commerce s’étendait jusqu’en Asie ; qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Rien. Faute d’avoir su reconnaître le signe des temps, que de fortunes se sont perdues ou ont été compromises dans une lutte de plus en plus désastreuse ! La sagesse veut qu’on s’y prenne à temps pour parer à ces changemens qui s’opèrent par la force des choses, lentement, mais irrésistiblement ; on évite ainsi les misères d’un long dépérissement contre lequel on lutterait en vain. Et qu’on ne s’y méprenne pas, jamais il n’y aura eu de changemens aussi complets, aussi prompts, aussi universels que ceux qui doivent résulter de l’introduction de la vapeur dans l’économie sociale, surtout de la création des chemins de fer. Les frais de transport sont si considérablement réduits, les moyens si immenses et la rapidité si grande, qu’on peut dire que, d’une extrémité de l’Europe à l’autre, il n’y a aucun marché qui ne soit désormais accessible à toutes les productions. Sauf les obstacles qu’opposent les douanes ou que ferait naître la guerre, le prix des denrées de première nécessité doit donc prendre, en Europe, le niveau qu’il ne prenait autrefois que dans une seule et même province.

Sans doute ces changemens ne s’accompliront pas sans oscillations, et il serait ridicule d’affirmer dès aujourd’hui que la culture des céréales n’est plus possible dans aucune partie de la Suisse. Nous signalons seulement une tendance très visible, et dont les effets se feront de plus en plus sentir. En ce moment, les importations des États-Unis sont nulles : au Havre, il n’est entré en deux ans, 1849 et 1850, que trente-six barils de farine ; mais, dans les quatre années précédentes, l’importation dans ce port a été de :