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n’exclue point les hommes faits par leurs rares lumières, la supériorité de leur intelligence et la modération même de leur caractère, pour laisser un vide difficile à remplir. M. Cousin laisse assurément un de ces vides. Il est de ceux auxquels on succède, comme on dit à l’Académie, mais qu’on ne remplace pas. M. Saint-Marc Girardin, qui a été l’objet d’honorables instances pour rester avec un caractère plus actif dans l’instruction publique, fait partie du nouveau conseil. Les esprits de cette nature ne sont point de trop, pas plus dans l’enseignement qu’ailleurs, — d’autant plus qu’ils ne sont point, nous le croyons, dominés par l’excès des illusions. En réalité, en dehors de toute considération de partis ou d’écoles, et moins encore de personnes, la pensée universelle, c’est qu’il y a à pourvoir à un grand intérêt moral, qui est l’éducation des générations nouvelles. Le mal qui se glisse périodiquement depuis longues années au sein de ces générations, les vices qui s’y développent hâtivement, les précoces corruptions d’esprit et de cœur qui s’y propagent, il est toujours facile de les attribuer uniquement et exclusivement à telle ou telle institution, et alors c’est l’institution même qu’on frappe. À peine cette victoire gagnée cependant, il se peut encore, en vérité, que le mal ne soit guère moindre, parce que le coupable, à tout considérer, c’est un peu tout le monde. Vous aurez beau prêcher l’ascétisme aux jeunes gens, si en franchissant le seuil de leurs collèges ils se retrouvent dans une atmosphère qui n’est rien moins qu’ascétique. Vous aurez beau leur enseigner dogmatiquement le respect, quand de toutes parts autour d’eux éclatera justement en signes manifestes l’absence de tout respect. Qu’importe que vous trempiez leur esprit dans les fortes et généreuses disciplines, si le soir, dans le foyer, la lecture de famille est quelqu’un de ces romans qui amollissent et énervent quand ils ne flétrissent pas ? Vous ne leur apprendrez pas l’histoire des Gracques de Rome ; soit : ils verront les Gracques modernes courir les rues. Qu’en faut-il conclure ? C’est que l’éducation publique, de quelque manière qu’elle soit distribuée, se ressent naturellement de l’atmosphère universelle, et qu’au-dessus de ces questions de monopole ou de liberté il y a toujours cette autre question souveraine et dominante des tendances générales de l’époque. C’est à la décision du corps législatif que paraissent maintenant réservées ces questions. Nous tenons le corps législatif pour fort empêché. Les meilleures lois ne valent pas les actes pratiques. C’est à la société elle-même de n’estimer que qui l’honore, d’offrir à ceux qui viennent ce sévère et salutaire enseignement de ses prérogatives, — ses honneurs et ses emplois achetés par le travail et non par l’ignorance vaniteuse ou la demi-science infatuée, par l’honnêteté et non par les corruptions spirituelles, par la fidélité à l’honneur et au bien et non par la poursuite outrée du succès. Malheureusement ce ne sont ni les décrets d’hier, ni les décrets de demain qui nous semblent destinés à mettre fin à de tels problèmes.

Tandis que cette question des réformes introduites ou projetées dans l’enseignement public préoccupait justement et vivement l’attention, une question d’un autre genre se trouvait presque simultanément résolue par le gouvernement, — celle du crédit foncier. Ce qui nous frappe dans la création de cette institution nouvelle de crédit, ce n’est point le côté politique, économique, déjà suffisamment exposé : c’est bien plutôt le côté par où elle touche à l’ensemble des idées et des habitudes pratiques, et par où elle peut servir en quelque sorte de mesure aux transformations morales qui s’opèrent dans notre