Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éclatante et finit par remplacer la littérature artificielle dont le règne avait duré trop long-temps.

Est-ce à dire que l’inspiration du XVIIIe siècle ait complètement disparu ? Non, certes ; elle persistait dans l’ombre, et les révolutions de notre âge l’ont relevée et propagée au loin. Toutefois, à côté de ce courant d’idées démagogiques qui tend à absorber chaque individu dans l’état et chaque peuple dans le genre humain, il est facile d’apercevoir aujourd’hui une force toute contraire qui pousse les peuples à ressusciter leur histoire, à réclamer leur part du soi, à se constituer d’une façon distincte au milieu de la confusion croissante. Ce double mouvement en sens inverse est un des plus curieux spectacles que présenta notre société bouleversée. Ici de vagues aspirations vers l’unité universelle, là le pieux entêtement de la fidélité domestique ; ici les froids et prétentieux utopistes tout prêts à abolir l’idée vivante de la patrie au profit de je ne sais quelle idole de bronze appelée par eux l’humanité, là les obstinés défenseurs des traditions qui semblaient mortes, — des érudits transformés en tribuns, des poètes et des copieurs qui soulèvent des races entières en vengeant leur langue natale disparue et leurs institutions abolies. N’est-ce pas un phénomène intéressant que ce réveil des Tchèques de la Bohême, des Slovaques de la Hongrie, des Croates des côtes illyriennes, des Flamands de la Belgique, se révoltant contre l’œuvre des siècles, et s’efforçant de reconquérir une existence distincte au moment même où les docteurs de la démagogie vont enseignant partout que les nations doivent disparaître ?

Le roman rustique, accueilli avec tant de faveur depuis quelques années en France et en Allemagne, est une des formes de cette protestation que nous venons de signaler. Ce n’est plus seulement telle ou telle famille de peuples chez qui le sentiment de race se réveille, c’est une classe particulière qu’on s’attache à peindre avec la physionomie qui lui est propre, avec ses mœurs et son existence à part au sein de la commune patrie. Que les écrivains s’en rendent compte eux-mêmes ou qu’ils l’ignorent, peu importe : ils suivent ici un instinct qui ne saurait échapper à une clairvoyante attention, ils peuvent céder encore, je le yeux bien, à d’autres influences secrètes ; ils peuvent céder au désir de flatter le peuple, à l’ambition de créer une poésie démocratique, à l’espoir de renouveler par ce retour à la nature les ressources d’une littérature épuisée : ils obéissent surtout, qu’ils le sachent, à ce sentiment dont nous parlions tout à l’heure ; ils sont les interprètes involontaires de ce mouvement qui se fait de tous côtés pour rattacher fortement à la tradition du sol les races, les tribus, les classes même, que la tendance opposée voudrait confondre dans la promiscuité et le chaos. Peindre avec amour les paysans de telle province distincte, consacrer pieusement leurs coutumes et tracer leur histoire