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fort beau portrait de Mme Grassini, peint par Mme Lebrun, et que l’on conserve au musée de la ville d’Avignon.

Dans une réunion où se trouvaitMme Grassini, vers 1838, à Paris, on eut occasion de parler de Napoléon et de Louis XVIII. On se plaisait à les imaginer se rencontrant dans les champs élysées et se questionnant sur les grands événemens qui s’étaient accomplis de leur temps. Chacune des personnes présentes émettait son avis dans ce dialogue des morts improvisé, lorsque Mme Grassini laissa échapper la naïveté suivante : « Je suis bien sûre que la première question qu’aura faite le grand Napoléon au roi Louis XVIII aura été celle-ci : — Pourquoi n’as-tu pas conservé la pension que j’avais donnée à ma chère Grassini ? » À cette sortie pittoresque, tout le monde partit d’un éclat de rire. Puisque nous en sommes à imaginer des dialogues entre les personnages illustres qui ont franchi la rive éternelle, qu’on nous permette d’en supposer un aussi. Si par-delà les limites de cette vie passagère on conserve encore quelques-unes des belles passions qui nous ont charmés sur la terre, j’aime à croire que Mme Grassini cherchera à se rapprocher de la grande ombre de celui dont elle fut la cantatrice bien-aimée ; et si, par une distraction à laquelle les femmes ne sont que trop sujettes, Mme Grassini éprouvait encore le désir de chanter ce passage de son rôle de Cléopâtre :

Adora i cenni tuoi, questo mio cor fedele,


l’ombre courroucée du vainqueur de Rivoli et de Marengo lui répondrait sans doute : « Va chanter des duettini amorosi avec lord Castlereagh, que je vois là-bas, et va demander au duc de Wellington, qui ne peut tarder d’arriver aussi, un sguardo sereno d’amor. » Cela dit, l’ombre auguste disparaîtrait,

Ex oculis subito, cui fumus in auras
Commixtus, fugit diversa…


P. SCUDO.