Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la tâche du commandant en second de la corvette, de l’homme sur lequel reposait tout entier le soin de maintenir une exacte discipline dans les rangs d’un nombreux équipage. M. de Larminat était heureusement un de ces hommes qui semblent créés tout exprès pour porter légèrement le fardeau d’une pareille responsabilité. La nature avait su allier chez lui à l’énergie froide et à la fermeté calme qui commandent le respect ces graves séduisantes de l’esprit, cette douceur persuasive de la voix et des manières qui n’exercent pas un moins invincible prestige sur les rudes enfans de nos côtes que sur des enveloppes moins primitives et des esprits plus cultivés. Sous l’habile direction de M. de Larminat, la Bayonnaise pouvait donc se montrer aussi fière de la bonne tenue de son équipage que de l’aspect marin de sa mâture ou de l’appareil militaire de ses batteries.

Cependant, pour pouvoir profiter un jour de tant d’avantages, il fallait d’abord se mettre en garde contre une surprise. Les Anglais ont concentré dans leurs mains toutes les grandes lignes de communications maritimes. Jusqu’au jour où l’active industrie des Américains aura su établir à travers les États-Unis et l’Océan pacifique une correspondance régulière avec la Chine, les nouvelles de l’Europe et les dépêches des gouvernemens étrangers ne pourront parvenir sur les côtes du Céleste Empire qu’après avoir subi le contrôle du post office d’Alexandrie ou de Ceylan. On peut croire que, fidèle à ses vieilles traditions, dès qu’il aurait considéré la conservation de la paix comme impossible, le gouvernement britannique eût, en 1848 aussi bien qu’en 1778 et en 1802, pris ses mesures pour qu’à un jour donné nos navires de guerre et nos bâtimens de commerce se vissent assaillis à l’improviste sur tous les points du globe[1]. Si cette hypothèse est injuste, elle est au moins prudente, et nous pensons qu’il y aura toujours plus d’inconvéniens à la repousser qu’à l’admettre. Pour nous, dès le 25 avril, nous considérâmes les hostilités comme imminentes, et, mouillés sur la rade de Macao, à trois milles des forts portugais, nous n’hésitâmes point à faire tous les préparatifs nécessaires pour répondre sur-le-champ à une insulte ou à une attaque. Des grelins d’embossage furent frappés sur les chaînes ; les cloisons de l’hôpital et de la chambre du commandant furent démontées ; les pièces de la batterie furent chargées à boulets et obus ; enfin les soutes à poudre furent éclairées jour et nuit[2].

  1. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a qu’un seul courrier par mois entre l’Europe et la Chine, tandis que des communications régulières ont lieu tous les quinze jours entre l’Europe et les ports de l’Inde. Les navires à vapeur de la compagnie ou ceux de la station de Calcutta auraient donc pu apporter au gouverneur de Hong-kong la nouvelle d’une rupture qui fût demeurée secrète pour la Bayonnaise.
  2. Les vaisseaux anglais, dans une circonstance analogue, n’ont pas montré moins de méfiance. Ceux d’entre eux qui furent expédiés de Malte au mois de juillet 1840 pour aller rejoindre l’amiral Stopford sur les côtes de Syrie firent coucher pendant toute la traversée les canonniers à côté de leurs pièces. Les progrès de l’artillerie navale exigent impérieusement ces précautions, qu’aucun officier de mer ne jugera excessives. S’exposer à exécuter un branle-bas de combat sous le feu même de l’ennemi, lui laisser l’avantage de quelques volées qui seraient d’autant plus meurtrières qu’elles ne recevraient pas de réponse, ce serait aujourd’hui plus que jamais assurer une facile victoire à son adversaire.