Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vétéran sans fortune. On ne saurait concevoir, pour un homme désabusé des rêves ambitieux, une plus douce et plus tranquille retraite. Si Sancho Pança eût connu l’île de Guam, c’est dans cette île qu’il eût voulu finir ses jours. On sait que l’archipel dont Guam fait partie fut découvert par Magellan. Revues en 1565 par Miguel Legaspi, qui en prit possession au nom de son souverain, définitivement conquises au catholicisme par les pères de la compagnie de Jésus, les îles Mariannes reconnaissent depuis cent cinquante ans la domination espagnole[1]. Subventionnées autrefois par le gouvernement du Mexique, elles sont retombées, depuis l’émancipation du Nouveau-Monde, à la charge du trésor de Manille, auquel, malgré l’extrême réduction des dépenses, cette inutile annexe enlève encore chaque année 60 ou 80,000 francs.

Situé à quatre cents lieues environ des Philippines, l’archipel des Mariannes se compose de dix-sept îles ou îlots, et s’étend du 13e au 20e degré de latitude. On serait tenté de reconnaître dans ces îles, ainsi échelonnées vers le nord, autant de degrés naturels par lesquels ont dû descendre les émigrations japonaises ou mongoles des bords de l’Asie septentrionale jusqu’aux groupes occidentaux de l’Océanie. Il est certain que le régime des vents qui règnent dans l’Océan Pacifique rapproche les îles Mariannes des côtes du Japon, tandis que ces mêmes vents les placent, pour ainsi dire, hors de la portée des naturels de la Malaisie. En admettant ce mode de colonisation, on s’expliquerait sans peine comment, en 1668, lorsque les Espagnols vinrent planter leur drapeau sur les îles Mariannes, les institutions, les mœurs, le langage même des habitans conservaient encore les traces incontestables d’une origine asiatique[2]. La population de l’archipel atteignait alors

  1. Ces îles, auxquelles Magellan avait imposé la sévère appellation d’îles des Larrons, prirent en 1668 le nom de Marie-Anne d’Autriche, femme de Philippe IV.
  2. On s’est beaucoup préoccupé, il y a quelques années, de l’origine des premiers émigrans qui formèrent le noyau des populations indigènes de l’Océanie. Des systèmes diamétralement opposés se trouvèrent en présence. L’idée la plus naturelle était de chercher le point de départ de ces colons au vent des îles qu’ils avaient dû atteindre : on supposa donc que, partis des bords du continent américain, ils avaient été successivement portés d’île en île par les vents alizés jusqu’aux extrêmes rivages des Philippines ; mais diverses considérations puisées dans une observation plus exacte des coutumes, du langage, considérations que M. Dunmore-Lang sut présenter avec beaucoup d’habileté, ont fait abandonner définitivement cette hypothèse. Fondant son opinion sur quelques phrases échappées à La Peyrouse et sur les perturbations auxquelles sont soumis les vents alizés dans le voisinage de l’équateur, M. Dunmore-Lang voulut établir la possibilité d’une colonisation qui se serait avancée graduellement de l’ouest vers l’est, des rivages de la Malaisie aux côtes de l’Amérique. En notre qualité de marin, nous ne pouvons admettre une hypothèse appuyée sans doute de raisons très savantes et très ingénieuses, mais contre laquelle proteste notre expérience personnelle. Cinq fois dans le cours de notre campagne et dans des saisons très différentes, nous avons navigué non loin de l’équateur, entre le 110e et le 160e degré de longitude. Nous croyons pouvoir affirmer que cette navigation eût été complètement impraticable pour les navigateurs primitifs, qui, suivant M. Dunmore-Lang, l’auraient accomplie jadis dans leurs frêles pirogues. Il nous semble que, si les îles de la Polynésie n’ont point été, comme on l’avait pensé d’abord, peuplées par des émigrations fortuites s’avançant dans les mers inter-tropicales de l’est à l’ouest, elles ont dû l’être par des barques isolées ou des flottilles que les tempêtes des mers boréales avaient entraînées vers l’orient ou vers le sud, car il est, suivant nous, de toute impossibilité que ce mouvement de colonisation ait eu lieu sous l’équateur de l’ouest à l’est. On ne saurait oublier d’ailleurs que plusieurs fois des bateaux japonais, emportés loin des côtes par les ouragans qui désolent les rivages de Matsmai, de Niphon ou des Kouriles, sont venus atterrir tantôt aux îles Philippines, tantôt au Kamschatka, quelquefois même aux îles Sandwich. Nous inclinerions à croire que les peuples de l’Océanie, que ceux même du continent américain, ont eu pour ancêtres quelques-uns de ces membres égarés de la famille mongole, et c’est dans les steppes fécondes de l’Asie centrale, plutôt que dans les plaines de l’Hindostan, que nous serions tenté de placer leur berceau.