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ainsi. Il l’entraîne par la main et revient au logis le cœur gonflé de honte et de douleur. À quelque temps de là, il est cité devant le juge. Jaikew est coupable en effet ; il s’est marié, il a voulu devenir chef de famille malgré l’interdiction de la loi, et, maintenant que le secret est connu, il faut qu’il réponde de son délit. Le pauvre Jaikew avait cependant attendu de bien longues années avant d’enfreindre cette loi odieuse. Combien de tentatives n’avait-il pas faites pour obtenir la permission tant désirée ! Quelle patience quelle soumission respectueuse et humble ! et qui donc n’eût été touché jusqu’aux larmes en voyant le fiancé et la fiancée, Jaikew et Resèle, se promener doucement, silencieusement, aux jours de fête, le visage empreint à la fois d’une tristesse résignée et d’une confiance naïve ? Ce sont de vieux fiancés déjà ; la joie a disparu, la gaieté s’est enfuie. Les autres fiancés se marient au bout de quelques semaines ; eux seuls, ils attendent, ils attendent de mois en mois et d’année en année. Les années s’écoulent cependant, et Jaihewv, perdant enfin patience, a emmené Resèle chez le rabbin, sans que le juge l’eût permis. Voilà la rébellion dont le pauvre paysan est obligé de rendre compte. M. Kompert introduit en ces scènes touchantes un vrai rayon de la beauté morale. Rien de plus gracieux que le tableau de ces longues années de fiançailles, l’effroi des deux époux devant l’assignation du juge, leur délibération inquiète avec l’avocat. — Vous nierez le mariage, dit l’homme de loi, et vous verrez que le juge fermera les yeux. — Mais le moyen de décider Jaikew à déclarer qu’il n’est pas marié ! le moyen de faire entendre à Resèle quelle devra renier Jaikew pour son époux ! L’entêtement naïf de ces braves gens et les subterfuges hardis de l’homme de loi forment ici un contraste dont l’habile narrateur a tiré le meilleur parti. Vainement le rusé tacticien conseille-t-il à ses cliens de tourner la difficulté ; l’instinct de la femme indignée se révolte, et Resèle bravera le péril plutôt que de renoncer à sa dignité d’épouse.

L’avocat, moitié grondant, moitié souriant, finit toutefois par triompher. Jaikew et Resèle ont comparu devant le tribunal, et tous deux ont fait les réponses que leur avait dictées l’homme de loi. Comme ils maudissaient intérieurement les paroles que leur bouche était forcée de prononcer ! Que de fois la honte couvrit le front de Resèle d’une rougeur subite ! Ils se sont contenus enfin ; la déclaration a été donnée, et le juge, décidé à ne pas sévir, a bien voulu l’accepter sur parole. Tout serait terminé, si Resèle ne se tourmentait, chemin faisant, de certaines expressions de légiste prononcées par le juge à propos de l’enfant. Ces paroles, elle en a bientôt l’explication : elle apprend que son fils n’a pas de père reconnu par la loi. Dès-lors l’avocat a perdu sa peine : plus de ruses, plus de mensonges ; Resèle réclame son titre d’épouse avec l’impétuosité d’un cœur généreux qui se redresse sous l’outrage. Elle a bien