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voulu s’humilier elle-même, elle ne consentira pas à l’humiliation de son enfant ; elle ira plutôt, dans sa confiance, demander justice à l’empereur. Ce portrait de la femme si pénétrée de ses droits, de la mère si dévouée à ses devoirs, cette alliance extraordinaire de naïveté enfantine et de résolution impétueuse, d’ignorance et d’ardeur, de patience et de force, fait vraiment beaucoup d’honneur à l’habileté du peintre ; le caractère de Resèle peut être signalé comme une création originale. La voilà à Vienne ; elle a trouvé asile chez des parens, et là l’auteur ne manque pas d’opposer ingénieusement les Juifs de la ville à ceux de la campagne. Les parens de Resèle la prendraient volontiers pour une folle ; son entreprise est une énormité inconcevable. Le placet que lui a rédigé l’homme de loi du village excite l’hilarité inextinguible de son cousin l’étudiant, lequel est tout disposé à lui en rédiger un autre ; Resèle ne s’émeut pas de ces railleries ; le placet qu’elle porte lui paraît exprimer très convenablement ce qu’elle a dans le cœur ; elle s’y tient. Suivons-la donc à l’audience impériale :


« L’empereur avait lu la pétition, et il avait souri. À genoux à la porte de la salle d’audience, Resèle était près de s’évanouir. Alors le bienveillant souverain s’approche d’elle, et, d’une voix qui enveloppa la pauvre femme comme le courant d’un fleuve chargé d’or : — Relève-toi, dit-il, mon enfant ; on ne s’agenouille que devant Dieu. — Mais Resèle ne se releva pas ; du plus profond de son ame, elle jeta ce cri : — Grace, grace, majesté ! donnez une famille à mon Jaikew !

« — Est-il vrai, demanda l’empereur, que tu aies vécu depuis vingt et un ans déjà avec lui ?

« — Il y aura bientôt vingt-deux ans, répondit-elle, et nous avons un enfant.

« L’empereur se dirigea vers la table où était la pétition ; il écrivit quelques mots sur le verso : — Et maintenant, va, mon enfant, lui dit-il avec une douceur vraiment humaine, ton Jaikew aura une famille. Comptes-y, les choses iront mieux à l’avenir.

« Resèle se leva. Si son ame, dans ce moment, se fût dépouillée de son vêtement terrestre, c’est en chantant une hymne à l’empereur qu’elle serait entrée dans les radieuses demeures de l’éternelle vie.

« Quatre semaines plus tard (depuis long-temps déjà, Resèle était de retour ; elle avait subi maintes questions sur son audience et fait ouvrir de grands yeux à maintes bonnes gens qui l’écoutaient), Jaikew reçut une nouvelle assignation du bourguemestre. Ce fut avec un joyeux pressentiment, cette fois, qu’il gagna par le petit escalier tournant le bureau n° 5. Qu’on se représente l’émotion de Jaikew, lorsque le bourguemestre lui déclara, dans les termes les plus affectueux, qu’un ordre supérieur enjoignait de donner à Jaikew la première famille vacante. — Précisément, ajoutait le bourguemestre, il y en avait une de libre ; Jaikew n’avait qu’à produire ses pièces pour obtenir le privilège qu’il souhaitait. Quinze jours après, Jaikew était chef de famille.

« Alors s’éleva entre les deux époux une singulière question : — Devront-ils célébrer un nouveau mariage ? — Jaikew n’en avait guère envie. — Maintenant