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les secrètes pensées de son ame, elle répondrait comme elle a répondu au commissaire et au rabbin. Elle ignore d’où lui viennent ces précieuses inspirations ; son instinct a parlé, elle l’a suivi. Pour que l’instinct toutefois lui ait été un guide si intelligent et si sûr, il faut bien que la lumière, une lumière plus douce et plus bienveillante que les traditions de sa race, ait pénétré dans l’humble monde où elle vit ; il faut bien qu’elle ait recueilli, sans y faire attention, maints enseignemens précieux. Une parole, un exemple, cela suffit, pour éveiller ce christianisme naturel qui est au fond de nos ames. Comment croire que la race juive, pressée de toutes parts, enveloppée et comme battue par la civilisation chrétienne, ait pu se soustraire aux courans invisibles des idées, aux mystérieuses propagations des sentimens ? Les clartés qui illuminent le monde depuis plus de dix-huit siècles ne doivent-elles pas triompher à la fin des sombres lueurs de la synagogue ? La toiture est percée déjà ; le jour s’infiltre par mainte issue ; les symboliques chandeliers pâlissent, et cette dernière lueur vacillante qu’ils jettent encore va disparaître dans des flots de lumière. M. Léopold Kompert, qui sait si bien décrire les religieuses émotions de ses rustiques héros, se préoccupe de toutes ces questions. Quels sont, chez les pauvres Israélites de la Bohème, les rapports du christianisme avec les croyances juives ? Y a-t-il moyen de concilier les deux esprits hostiles ? Que doit-on espérer de l’avenir ? Que faut-il faire enfin pour frayer la voie à cet avenir plus heureux et préparer l’émancipation d’un peuple esclave ? En étudiant à la lumière de ces pensées les populations juives de son pays, M. Kompert a découvert une veine nouvelle bien digne de tenter son talent. Le livre que nous venons d’examiner était surtout l’œuvre d’un peintre, d’un peintre ému et sympathique sans doute, mais particulièrement attentif à la vérité des mœurs et des costumes. Deux autres récits moins importans, la Vieille Babe et Schlemil, sont d’agréables tableaux de genre ; une série d’histoires populaires, de contes et de naïves légendes empruntées au foyer de la cabane rustique, complètent ces Scènes du Ghetto où l’auteur, je le répète, a cherché à mettre en relief la poésie cachée des mœurs juives. L’ouvrage intitulé les Juifs de la Bohème nous montrera une pensée plus haute, une préoccupation plus douloureuse et plus tendre ; le philosophe, sans effacer l’artiste, s’y déploiera librement, et les généreuses inspirations du conteur nous introduiront au sein des problèmes les plus graves.

Le second recueil de M. Léopold Kompert ne renferme que trois études. Il y en a deux, le Colporteur et Trenderln, qui se font suite l’une à l’autre ; la troisième, la plus longue et la plus importante de toute manière, est intitulée la Juive perdue, ou, pour traduire plus littéralement, la Perdue, die Verlorene. C’est une conception assez