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semblable qui se retrouve dans le Colporteur et la Juive perdue ; on dirait les deux aspects de la même pensée, les deux solutions différentes de l’éternel problème que tourne et retourne en tous sens l’inquiète sollicitude de l’écrivain israélite. Dans le premier de ses tableaux, nous voyons une famille de pauvres gens qui est sur le point de perdre un de ses membres les plus chers. Le fils aîné du colporteur a quitté le village natal, il a étudié, il ne croit plus au judaïsme, et il est décidé à se faire chrétien. Une dernière fois cependant, avant d’accomplir ce grand acte, il veut revoir sa famille et la revoir un jour de sabbat : c’est comme un adieu aux émotions religieuses de son enfance, aux traditions sacrées de sa race ; pour conserver toute sa liberté, il se déguise. Ce n’est pas le fils du petit marchand du Ghetto, c’est un mendiant juif qui ira frapper au seuil du colporteur et prendre place, selon l’usage immémorial, au repas dévotement célébré. Or, les émotions qu’il éprouve sont si vives, tant de souvenirs se réveillent en lui, tant de liens mal dénoués l’enlacent, qu’il renonce peu à peu à son projet d’abjuration. Le docteur Emmanuel, — c’est son nom, — a cessé évidemment d’être Juif ; les circonstances seules l’empêchent de déclarer sa foi nouvelle. Il restera donc Juif par respect pour son vieux père, par attachement à son frère Benjamin. Nous ne sommes plus au temps où le divin réformateur, pour mieux briser les anciennes attaches, jetait de sa voix si douce ces paroles terribles : « Croyez-vous que je sois venu pour apporter la paix sur la terre ? non, je vous assure, mais la division ; — car désormais, s’il se trouve cinq personnes dans une maison, elles seront divisées les unes des autres, trois contre deux et deux contre trois. » La conduite du docteur Emmanuel est d’accord avec le tempérament de son époque. Il restera Juif, mais il ne vivra plus désormais que pour la réforme et l’amélioration de ses frères. L’histoire de Trenderln nous le montre à l’œuvre. C’est un des préjugés les plus enracinés chez les Israélites que la loi de Dieu leur défend toute industrie manuelle ; ils croient que le commerce seul leur est permis. Partout, dans les villages juifs de l’Autriche, vous ne rencontrez que spéculateurs de bas étage, trafiquans, colporteurs, jamais un homme qui manie la truelle ou le rabot. Le récit intitulé Trenderln est le tableau des efforts inouis que fait le docteur pour donner à la commune un serrurier israélite : petite affaire, à ce qu’il semble, mais semée de maintes traverses et pleine d’un intérêt singulier. Ce serrurier qui bat le fer rouge sur son enclume, c’est le commencement d’une révolution dans les mœurs juives de la Bohème. Ainsi s’occupe le Juif qui n’a pu se dégager des liens de sa race, ainsi se dédommage, par maintes réformes utiles, cet esprit mal à l’aise dans une atmosphère étouffante.

Mais, s’il y a une famille à qui le christianisme ait tout-à-fait ravi