Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 13.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II

Cependant, tandis que les nationalités se soudaient ainsi, tandis que la colonie marchait, à travers toutes les contrariétés que les missionnaires ne cessaient de lui susciter, à la conquête d’un gouvernement libre, la métropole de son côté poursuivait son œuvre, et en 1833 elle décrétait, au prix de 20,000,000 de livres sterling (500,000,000 de francs), le rachat des esclaves qui peuplaient encore ses colonies. Ce grand acte de réparation ne fut pas mieux accueilli par la population blanche du cap de Bonne-Espérance que par celle des autres dépendances de l’Angleterre[1] . En Europe, l’opinion, édifiée presque exclusivement sur la matière par les discours et les écrits passionnés des abolitionistes, a généralement cru que l’opposition de la population blanche à l’émancipation prenait sa source dans un sot orgueil ou dans une basse cupidité ; elle voulait, disait-on, continuer à jouir des immenses profits, des profits presque gratuits du travail servile. C’était très injuste et très faux. Les colons savaient bien que les frais du travail des esclaves sont plus élevés que ceux du travail libre[2], mais ils ne savaient pas encore comment ce travail libre pourrait être organisé ; l’expérience si heureusement faite depuis avec les Chinois et les coolies de l’Inde était encore à faire en 1833. Dans la réalité, ils se conduisaient comme se sont toujours conduits et se conduiront pendant bien longtemps encore tous les intérêts auxquels le législateur tentera d’imposer des conditions nouvelles ; ils étaient pleins de défiance, ils croyaient

  1. Le nombre des esclaves rachetés au Cap par la loi de 1833 fut de 29,111, au prix de 1,193,085 livres sterling (29,827,125 fr.), ainsi réparties :
    au prix de :
    Esclaves attachés à la culture des terres 11,727 541,297 liv. st.
    Esclaves domestiques, ouvriers, etc 17,384 651,788
    Totaux 29,111 1,193,085 liv. st.


    Comme il doit arriver de tout marché où l’une des deux parties n’est pas admise à débattre ses conditions, les propriétaires d’esclaves au Cap ainsi que dans toutes les autres colonies anglaises ont crié à l’injustice et à la spoliation. C’était cependant une moyenne de 1,025 fr., bien autrement libérale que celle accordée depuis par la France aux propriétaires de ses colonies.

  2. Pendant un séjour de presque un mois que j’ai fait à l’île Bourbon en 1844, j’ai cherché à me rendre compte du prix d’entretien par jour d’un esclave valide. Les élémens d’un calcul pareil sont si compliqués et si difficiles à apprécier, que, malgré ma bonne volonté, je n’ai pu arriver à un chiffre que j’ose indiquer avec quelque certitude. Il résulte cependant pour moi de mes recherches la conviction que l’entretien d’un esclave valide sur une habitation devait par chaque jour de l’année (y compris les dimanches, fêtes et samedis réservés à l’esclave pour le travail de son jardin) dépasser la somme de 2 fr. 50 cent., tandis qu’en Europe, et en France par exemple, la journée d’un ouvrier des champs ne vaut pas même dans les pays les plus riches, plus de 1 fr, 50 cent. ; encore n’a-t-on pas à le payer les jours de dimanches et de fêtes, c’est-à-dire pendant plus de soixante jours par an.