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sincèrement aux périls de leurs familles et à la ruine de leurs propriétés. Ils pressentaient que, dans des pays où le travail des champs avait été pendant des siècles le lot exclusif et le signe caractéristique de l’esclavage, le premier usage que les émancipés feraient de leur liberté serait d’en rechercher la seule preuve qui pût les convaincre, en renonçant au travail de la terre, en quittant les ateliers où ils avaient été esclaves, en se livrant au vagabondage, qui a tant d’attraits pour les noirs. Or du vagabondage au vol il n’y a pas loin, et alors que deviendrait la population blanche ? Ces craintes, qui heureusement ne se sont pas toujours réalisées, étaient cependant légitimes et raisonnables, et de fait, si le sang n’a pas coulé, Dieu sait cependant combien en définitive de planteurs ont été ruinés à l’île de France, à la Guyane, à la Jamaïque, à la Trinité et ailleurs.

Au Cap, l’abolition de l’esclavage fut par malheur immédiatement suivie d’une nouvelle invasion des Cafres, provoquée, dirent les habitans, par les prédications des missionnaires, mais qu’il est plus juste d’attribuer seulement à la fermentation qu’un aussi grand événement répandit parmi toute la race noire. En 1834, au moment où l’on s’y attendait le moins, un torrent de barbares envahit tout à coup la colonie par la frontière de l’est, et pénétra jusqu’aux environs de Graham-Town, la capitale de la province d’Albany, ravageant, pillant, brûlant et détruisant tout ce qu’ils ne pouvaient emporter. Pris au dépourvu, les habitans ne se laissèrent cependant pas abattre. On courut aux armes dès que le premier moment de stupeur fut passé, et, après une longue et laborieuse campagne qui ne se termina qu’en 1835, les Cafres, repoussés au-delà de la frontière, ramenés dans leur pays et vaincus, étaient obligés de demander la paix[1].

Cette fois les habitans étaient tellement dans leur droit, ils étaient si évidemment des victimes innocentes, ils avaient tant souffert, et depuis si long-temps ils poursuivaient le redressement de leurs griefs,

  1. Pour donner une idée de ce que sont ces guerres du Cap, il ne sera peut-être pas hors de propos de citer ici le dénombrement de l’armée qui, sous les ordres de sir Benjamin d’Urban, chassa les Cafres de la colonie et les força, après les avoir battus dans leur propre pays, à implorer la paix. La colonne d’opérations qui franchit la frontière et envahit à son tour la Cafrerie se composait, d’après les documens officiels, de 3,154 hommes dont :
    1,515 soldats de l’armée royale,
    1,639 burghers (habitans), tous montés,
    Total 3,154 hommes, plus 6 pièces de canon.


    Le corps de réserve, qui n’alla que jusqu’à la frontière et l’occupa tandis que sir Benjamin d’Urban opérait entre le Fish-River et le Great-Kei, se composait de 2,001 hommes, dont

    516 soldats de l’armée royale,
    620 burghers montés,
    865 Hottentots formés en deux bataillons d’infanterie,
    Total 2,001 hommes, plus 4 pièces de canon.