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ne marchaient qu’à petites journées et fournissaient l’occasion des scènes les plus pittoresques et les plus émouvantes. L’une de ces colonnes, composée de cent trente-trois personnes, reçut sur sa longue route les témoignages les plus touchans de la sympathie générale. Elle était conduite par un vieillard presque octogénaire, Jacobus Uys, et tous ceux qui en faisaient partie étaient unis par les liens du sang à des degrés très proches, si bien, raconte une lettre du temps, qu’en s’adressant à leur vénérable chef, ils devaient tous lui dire : Père, grand-père ou oncle. Partie du district d’Uitenhage, son chemin la conduisit aux portes de Graham’s Town (ville fondée par les émigrans anglais de 1820, et habitée presque entièrement par eux), où on lui fit une réception des plus brillantes et des plus cordiales, au dire du Graham’s Town Journal, rédigé par un Anglais qui a joué un rôle considérable dans les affaires de la colonie, M. R. Godlonton[1].

Tous ces émigrans allaient au hasard, poussant leurs troupeaux devant eux, franchissant le fleuve Orange, se lançant dans le désert, ou, pour mieux dire, dans l’inconnu, sans plan, sans projets arrêtés, sans savoir où diriger leurs pas. Les uns, avec Louis Trechard (un nom français), songeaient à s’établir sur le territoire portugais de Delagoà, et périssaient en partie par les maladies ou par les assegais des Cafres ; les autres tenaient à ne pas trop s’éloigner de la colonie et voulaient rester sur les bords de l’Orange ou de ses affluens, là où depuis de longues années déjà un certain nombre de leurs compatriotes avaient trouvé la paix et la liberté ; ils espéraient que le gouvernement anglais, fort embarrassé de leur départ, ne songerait pas à les troubler. D’autres, et c’était le plus grand nombre, voulaient pousser jusqu’à Port-Natal, où un établissement irrégulier s’était déjà formé, où des Anglais du Cap, le capitaine Gardiner, M. Farewell et d’autres, avaient acheté des naturels de grandes étendues de terres, qu’ils avaient tout intérêt à voir occupées par les émigrans. Toutefois, et en attendant qu’ils sussent prendre une détermination, les nouveaux venus publiaient des proclamations, offrant la paix aux tribus, signant avec quelques-unes d’entre elles des traités d’alliance offensive et défensive, promettant de respecter scrupuleusement les droits de tous, de payer tout ce qu’ils consommeraient et jusqu’à des droits pour la location des terres sur lesquelles ils étaient campés, s’efforçant, en un mot, de prouver par tous les moyens que les bruits répandus sur leur compte par les missionnaires qui triomphaient, et qui ne les avaient pas vus entrer dans le pays des noirs sans pousser les hauts cris, étaient autant de calomnies. En même temps, ils se tenaient

  1. M. Godlonton est en ce moment à Londres, cité, lui aussi, devant le nouveau comité d’enquête. Il vient de faire paraître un petit écrit sur la dernière prise d’armes des Cafres en décembre 1850.