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peinture, et n’ont rien à démêler avec les rêves purement littéraires transcrits sur la toile. C’est avant tout une série de tableaux reliés entre eux par une pensée commune, mais qui s’expliquent très bien par eux-mêmes et n’ont pas besoin de commentaire. Bien que ces tableaux résument sous une forme tour à tour ingénieuse ou imposante toute la philosophie de l’histoire, l’enseignement de Herder ne s’y laisse jamais apercevoir. Tout en consultant le philosophe allemand sur la biographie de la race humaine, M. Chenavard n’est jamais sorti des conditions de son art, et l’on peut dire qu’il a montré aux yeux ce que,Herder avait montré à l’esprit. Quant à la mosaïque circulaire où se trouve condensée la substance de l’œuvre entière, si elle n’appartient pas aussi évidemment à la peinture, si le sujet, pris en lui-même et formulé dans les termes rigoureux que je viens d’énoncer, relève de la philosophie, il faut avouer pourtant que M. Chenavard a su animer cette formule et que la division philosophique du sujet n’enlève rien à l’attrait de la composition. L’Action et l’idée sont représentées par des hommes dont le nom est gravé dans toutes les mémoires, chacun les reconnaît et les salue avec joie, et l’esprit averti par les yeux n’éprouve pas un moment d’hésitation.

Raconter avec le crayon l’histoire entière de la civilisation depuis la Genèse jusqu’à la révolution française n’était pas seulement une entreprise périlleuse pour l’homme le plus habile. Il fallait, avant de mettre la main à l’œuvre, savoir bien nettement ce que la peinture peut dire et ce qu’il lui est défendu d’exprimer. Heureusement M. Chenavard avait appris en Italie, dans le commerce familier des plus grands esprits servis par la main la plus savante, où commence, où finit le domaine de la peinture. Ses voyages, ses études l’avaient préparé depuis long-temps à l’accomplissement de la tâche qu’il poursuit courageusement depuis quatre ans. Il avait vu en Italie même à quels dangers s’expose le peintre qui consulte la philosophie sans consulter les maîtres de son art. L’école allemande lui avait montré à Rome dans quelles erreurs peut tomber l’esprit le plus ingénieux, lorsqu’il s’abandonne aux rêveries mystiques sans demander au passé quels sont les sujets permis, quels sont les sujets interdits à la peinture. L’idée la plus vraie n’est souvent qu’une énigme impénétrable quand l’homme qui l’a conçue, ne sait pas choisir la forme qui lui convient. Il y a des pensées que la parole seule peut révéler : confiez-les au pinceau le plus habile, chargez Michel-Ange ou Rubens de les enseigner à la foule, et s’ils n’ont pas la sagesse de refuser cette mission, malgré tout leur génie, la foule ne les comprendra pas. Pour que la pensée arrive à l’esprit par les yeux, il faut qu’elle puisse se traduire en action. M. Chenavard l’a parfaitement compris. Il n’y a pas un de ses cartons qui ne captive le regard avant de réveiller un souvenir, de provoquer la méditation.