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Mlle Sophie Cruvelli est une Amina trop tragique, trop violente. Elle ne comprend pas ou elle néglige toutes les charmantes demi-teintes du premier acte, tous ces traits de coquetterie villageoise et naïve que la Malibran rendait avec tant d’esprit et de grace. C’est pourtant une véritable artiste que Mlle Sophie Cruvelli ; elle a du feu, de l’audace, une belle voix qui s’élève souvent à de pathétiques effets. Qu’elle résiste à son penchant pour l’exagération, qu’elle résiste surtout à ses flatteurs, et elle pourra devenir ce qu’elle n’est pas encore, une grande cantatrice.

La reprise de Maria di Rohan a eu plus de succès qu’on ne pouvait l’espérer en songeant à la supériorité de Ronconi dans le rôle principal. Le débutant, Mlle Ferlotti, a lutté sans trop de désavantage contre cet écrasant souvenir. Ce chanteur abuse des transitions, et passe brusquement d’un éclat formidable à un pianissimo si imperceptible qu’on l’entend à peine ; il a aussi, dans son jeu, dans ses allures et jusque dans son costume, quelques restes de la vieille friperie du mélodrame italien : cependant il s’est fait justement applaudir au troisième acte. Les honneurs de la représentation ont été pour M. Guasco, qui, dans le rôle de Chalais, s’est enfin révélé comme un chanteur du premier ordre. Au premier acte, il a dit d’une façon supérieure une cavatine étrangère à la partition et intercalée par un jeune compositeur, M. Castaldi. Dans la romance du second acte, alma beata e cara, M. Guasco a déployé un style magistral, un sentiment irréprochable. Cet artiste dont la voix est fatiguée, mais dont le mérite est éminent, nous rappelle Duprez lorsque commencèrent les premiers indices de décadence, ou Moriani lorsqu’il vint nous dire les mélodieux soupirs de Ravenswood de cette voix affaiblie, à demi voilée, qui n’était pas sans charme. Tel qu’il est, M. Guasco peut encore rendre de grands services au Théâtre-Italien, lequel, dans sa composition actuelle, compte, il faut bien le dire, plus d’écoliers que de maîtres.

L’Opéra-National continue de se débattre avec courage contre cette jettatura qu’apportent en naissant certains théâtres, et que semblent lui avoir léguée les gros drames de M. Dumas. A la Perte du Brésil vient de succéder la Butte des Moulins, dont la partition est de M. Adrien Boïeldieu. Le sujet de la Butte des Moulins est l’épisode de la machine infernale. Seulement, comme il était difficile de faire de la musique avec l’explosion d’un tonneau, l’auteur du libretto y a rattaché une intrigue de porteurs d’eau qui amène tant bien que mal des situations musicales. Brichard, le doyen des porteurs d’eau du quartier, a promis sa fille Marielle à son jeune confrère Éloi, bel et sensible Auvergnat dont la tendresse est payée de retour. Éloi a pour rival un assez mauvais drôle, secrétaire intime du commissaire de police. Pour balancer les avantages de ce haut fonctionnaire, l’amoureux de Marielle se décide à vendre son tonneau, dont un acheteur inconnu lui offre une somme considérable. Hélas ! c’est ce tonneau que les conspirateurs remplissent de poudre, et, après l’explosion, le nom d’Éloi, retrouvé sur la plaque, compromet gravement le jeune Auvergnat. Son rival et son ennemi, l’affidé de la police, ne perd pas cette occasion de le faire arrêter et emprisonner. Heureusement Éloi a un frère, magnifique tambour-major de la garde consulaire, qui découvre les vrais coupables, sauve l’innocent, unit Éloi à Marielle, et confond le misérable qui avait essayé de les séparer. Tout ceci, on le voit, n’est pas très neuf, mais il y a dans la partition de M. Adrien Boïeldieu des qualités réelles. L’ouverture est une succession de