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morceaux agréables que l’on écouterait avec plus de plaisir, si l’on en saisissait mieux l’ensemble, et s’il n’y régnait pas un peu de décousu. Nous avons remarqué dans l’introduction un chœur de facture italienne, dont les masses sont disposées avec beaucoup d’art, puis un joli duo entre Marielle et le secrétaire. Au second acte, il faut citer le duetto à l’eau ! à l’eau ! d’Éloi et de Marielle, et le quatuor : Je vous comprends, j’aime cette franchise ! L’air de Marielle, au troisième acte, renferme quelques modulations charmantes, et le dernier finale, bien qu’un peu bruyant, a eu beaucoup de succès. Ce que nous critiquerons dans la Butte des Moulins, c’est d’abord l’emploi immodéré du tambour, qui se combine fort mal avec les voix. C’est ensuite le retour trop fréquent des couplets de bravoure en l’honneur de la profession de chaque personnage : Gloire ! gloire au tambour-major !… Honneur au joli porteur d’eau ! etc. Il n’y a rien, parmi les vulgarités et les vieilleries de l’Opéra-Comique, de plus vieux ni de plus vulgaire. En outre, toute cette partition manque un peu d’originalité : la mélodie y abonde, claire, élégante, facile ; mais il semble toujours qu’on l’a entendue ailleurs. Peut-être aussi M. Adrien Boïeldieu se souvient-il trop qu’il est fils d’un compositeur illustre. À chaque instant, on sent passer, à travers ses inspirations les plus gracieuses, l’écho affaibli des mélodies de son père. Puisque l’on a déjà fait tant de classifications musicales, puisque l’on compte tant de genres divers en musique, musique sacrée, profane, savante, légère, chantante, italienne, allemande, française, nous dirions volontiers de celle de M. Adrien Boïeldieu que c’est une musique filiale : elle rappelle la Dame Blanche comme les meilleurs vers du poème de la Religion rappellent les chœurs d’Esther.

Ce que nous disons, en passant, de la musique de M. Adrien Boïeldieu pourrait, hélas ! s’appliquer à presque toutes les œuvres qui se produisent aujourd’hui. Il semble que l’esprit d’initiative et de création se soit perdu, qu’il n’y ait plus dans la littérature et dans l’art que des réminiscences filiales, des héritiers ou des disciples continuant, sous une forme affaiblie on exagérée, ce qui s’est fait ou essayé avant eux. Reflets amoindris, échos lointains, souvenirs d’une époque plus féconde et d’une verve plus heureuse, voilà ce qu’on retrouve aujourd’hui partout, au théâtre comme dans les livres. Ceux-là même qui ont fait autrefois leurs preuves, qui ont mérité de compter parmi les inventeurs et dont nous avons applaudi les tentatives, semblent, pour ainsi parler, leurs propres continuateurs, et leur maturité ne nous donne, à vrai dire, que le regain de leur jeunesse. Nos écrivains, nos artistes, ne se décideront-ils pas enfin à rompre avec ces opiniâtres retours vers le passé, à vivre d’une vie moins factice, à devenir à leur tour les créateurs et les pères d’une génération littéraire ? Le moment est propice. Il y a dans les événemens qui modifient les sociétés une sorte de secousse et comme de heurt qui peut être utile aux imaginations en leur ouvrant des sentiers et des horizons inconnus ; mais, pour profiter de cet avantage, il faut avoir quelque chose à mettre en regard de chacune de ces dates dont la succession forme un siècle. S’obstiner à des formes vieillies en face de situations nouvelles, ce ne serait pas faire revivre les traditions d’un autre temps ; ce serait manquer à celui-ci.




V. de Mars.