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suffit pour paralyser des institutions atteintes à leur source même. Un esprit nouveau descendit dans l’humanité, et les miraculeuses transformations opérées dans la conscience se reflétèrent bientôt dans les lois. Aux peuples que le droit antique avait faits ennemis naturels, aux diverses castes sociales séparées par d’infranchissables barrières, fut révélée l’égalité primordiale des êtres issus d’un même sang, rachetés au prix d’un même sacrifice ; en connaissant leur père commun, les fils dispersés d’Adam comprirent pour la première fois qu’ils étaient frères. La religion chrétienne établit entre les hommes des liens dont ils n’avaient pas même soupçonné l’existence. En leur donnant le ciel pour seule patrie et en transformant la terre en lieu d’exil, elle put prescrire aux pauvres la résignation, imposer aux riches le sacrifice, et parler à l’humanité une langue qu’elle n’avait jamais entendue. La foi nouvelle fit plus que supprimer la pauvreté : elle la présenta comme une épreuve bénie départie par Dieu à ses fils d’élection ; elle fit mieux que d’attaquer la richesse, car elle la présenta comme le plus grand des périls ; elle fit trembler les riches pour leur salut en leur découvrant l’étendue des obligations qui leur étaient imposées vis-à-vis des pauvres sous une sanction terrible. Sans attaquer l’inégalité des conditions et des fortunes, elle éleva l’indigent jusqu’au riche en faisant descendre le riche jusqu’à lui, et la pauvreté devint bientôt tellement souhaitée et la richesse tellement redoutable, qu’on vit des légions de riches, de grands et de puissans du siècle quitter les palais pour vivre au désert, et se faire les humbles serviteurs de l’indigent, en se revêtant volontairement de la pauvreté comme d’un manteau glorieux. Les mendians et les esclaves, le rebut des nations, sur la tête desquels le monde païen avait marché si long-temps, furent transfigurés aux yeux du monde comme le Christ sur le Thabor, en devenant les objets des plus chères complaisances d’un Dieu pauvre comme eux, les héritiers les plus assurés de ses immortelles promesses.

L’inégalité des fortunes et conditions, née de l’inégale répartition que la nature a faite entre les hommes de ses aptitudes et de ses forces, ne pouvait manquer d’être sanctionnée par le christianisme comme une loi sociale, comme une nécessité providentielle. « Le christianisme reconnut les hommes inégaux entre eux, dit M. Moreau Christophe, quant à la somme des fardeaux divers qu’ils ont tous diversement à porter, selon la diversité de leurs forces individuelles ; mais en même temps il les proclama égaux devant Dieu quant à la somme de récompense commune à laquelle chacun a également droit, selon l’égalité relative des efforts de chacun dans le travail de tous. » Ainsi l’inégalité des conditions sociales dans le monde se convertit, sous l’empire du christianisme, en une similarité de fonctions diverses dans l’œuvre de Dieu. « Il y a, dit saint Paul, des graces diverses, mais un seul esprit ;