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de cette parole est tel aux premiers jours du christianisme, que la condition de celui qui manque de tout apparaît comme de beaucoup la plus souhaitable, et qu’une des premières erreurs que l’église naissante eut à combattre fut la doctrine qui, tenant le salut du riche pour impossible, prescrivait aux chrétiens la renonciation à toute propriété individuelle. Les terribles adressés aux heureux du monde retentissaient avec une telle force dans les consciences et y soulevaient de telles terreurs, qu’on repoussait avec effroi ces avantages temporels, dont la possession rendait le salut si incertain et si difficile. Plusieurs entre les premiers pères de l’église, et parmi eux saint Jérôme et saint Basile, étendant le sens de la parabole du chameau et faisant une prescription générale du vende quod habes comme du da cuncta pauperibus, soutinrent qu’il était impossible d’accomplir dans leur plénitude les préceptes de la loi de grace, si l’on ne se dépouillait de tout, et si l’on ne revêtait volontairement la pauvreté comme le Christ avait revêtu sa croix.

Une telle application des maximes de l’Évangile était pleine d’exagération, car l’économie religieuse du christianisme serait manifestement dérangée par une égalité de situation qui dispenserait les uns de la patience comme les autres de la charité, et qui, pour rapprocher les corps, romprait le lien mystique qui unit les ames. Le livre divin contient d’ailleurs à chaque page et la sanction formelle du droit de propriété, et l’invitation à l’accroître par une conduite prudente, une administration bien réglée, surtout par un labeur assidu. La réhabilitation et la prescription du travail sont des lois fondamentales du christianisme ; il l’a réhabilité en l’élevant presque à la dignité de la prière et en attribuant une force réparatrice aux sueurs de l’homme comme à ses larmes ; il l’a prescrit en inscrivant la paresse au rang des péchés capitaux. Or la première conséquence du travail honoré dans son principe et garanti dans ses fruits est la constitution d’une société fondée sur l’inégalité des fortunes et sur l’essor le plus divers des facultés individuelles. La vie communitaire et conventuelle, envisagée par quelques pères comme le type obligé de la vie chrétienne, était donc et devait rester une exception. Si Dieu a permis que certains êtres élus par lui participassent sur la terre à la vie des anges plus qu’à celle des hommes, et exerçassent ici-bas un ministère spécial d’abnégation et d’amour, cette couvre n’est point l’œuvre normale de l’humanité ; le christianisme loue la vie d’élection sans la conseiller à personne, et, teinte encore du sang de ses martyrs, l’église, cachée dans les catacombes, maintenait, malgré de généreux entraînemens, le double caractère qu’elle entendait imprimer à la société de l’avenir la liberté sous l’autorité et la variété dans l’unité.

La vie des chrétiens, même au temps des persécutions, était déjà en