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peuple, en effet, sembla grandir dans les revers. Il y eut des plaintes sur la dureté des temps, mais pas un murmure sur la nécessité des sacrifices ; il y eut des souffrances profondes, il n’y eut pas de révolte politique ; l’opposition, exclusivement théologique et religieuse, partit uniquement des jansénistes et des protestans. La nation fut unanime à soutenir la lutte. Depuis la mort de Louvois, la désorganisation de l’armée était la même que celle des finances depuis la mort de Colbert. Cette armée manquait de vivres et d’armes. Au siége de Kehl, il y avait un fusil pour trois hommes, et cependant on se battait toujours avec la même ardeur et la même gaieté. Quand Villars parcourait les lignes, les soldats, qui l’adoraient, lui adressaient cette prière : « Maréchal, donnez-nous notre pain quotidien ; » et quand le pain manquait, il n’y avait pas un murmure. Attaquée tout à la fois en Flandre, en Allemagne, en Italie ; en Espagne, en Amérique, la France, sanglante et non mutilée, garda toutes ses conquêtes, toutes les conquêtes de Richelieu et de Mazarin, l’Alsace, l’Artois, le Roussillon, la Flandre, la Franche-Comté.

Aux grandes scènes de cette guerre extérieure s’ajoutent comme un épisode douloureux les scènes d’une guerre intestine souillée par d’affreux désordres, mais pleine aussi d’héroïsme et de grandeur, la guerre des Cévennes, cette Vendée protestante des premières années du XVIIIe siècle. Cette partie du livre de M. Moret est curieusement traitée, et elle offre en bien des points des faits nouveaux, l’auteur ayant recouru, comme dans le reste de l’ouvrage, à des sources jusqu’alors inexplorées. Tout en faisant la juste part du blâme, il s’est gardé sagement de ces déclamations contre le fanatisme et l’intolérance qui se substituent dans un grand nombre d’historiens modernes à l’exposition et à l’appréciation des faits. Il a jugé avec impartialité les hommes qui combattaient dans les deux camps ; il a flétri tous les excès, sous quelque bannière qu’ils aient été commis, et certes, en un semblable sujet, l’impartialité, est d’autant plus méritoire qu’elle est plus rare et plus difficile, car il semble que les mêmes passions se perpétuent à travers les âges et que la colère des guerres civiles gronde toujours sourdement dans l’histoire. On dirait même, depuis quelques années, que quelques historiens ont pris à tâche de dénigrer et de méconnaître tout ce qu’il y a de grand dans le passé. La déplorable tendance des romanciers et des dramaturges à réhabiliter les types dégradés et flétris s’est malheureusement aussi manifestée dans l’histoire. Nous avons fait comme cette municipalité de Denain qui, en 93, abattait, pour faire preuve de civisme, le monument de Villars ; nous avons fait comme les jacobins qui portaient au Panthéon le buste de Marat. En insultant ainsi les plus nobles figures pour glorifier les plus hideuses, on a dépravé le sens historique de la nation ; on a entassé des ruines sur des ruines. Aujourd’hui, dans l’étude de l’histoire comme dans la pratique de la vie sociale, le travail de tous les bons esprits doit être avant tout un travail réparateur, et de même que l’effort du passé a été de constituer l’unité politique de la nation, de même l’effort de l’avenir doit être de constituer l’unité morale.


CH. LOUANDRE.