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Nouveau-Monde, — l’Amérique du Nord et. l’Amérique du Sud, — c’est la différence profonde qui éclate dans l’œuvre de ces deux races, dont l’une marche en conquérante vers des destinées inconnues, et dont l’autre se débat dans une anarchie sans but et sans terme. Nous parlions récemment d’une insurrection qui avait éclaté depuis quelques mois au Chili, l’un des pays restés les plus calmes pourtant pendant vingt années. Bien qu’elle ait rencontré jusqu’ici une répression vigoureuse et décisive, cette insurrection ne paraît pas néanmoins terminée. Le plan des insurgés ne manquait pas, au reste, d’habileté. On se souvient sans doute de la configuration du Chili ; il s’étend sur une longueur de six cents lieues entre les Andes et l’Océan Pacifique. Tandis que le général Cruz, chef du soulèvement, se créait dans le sud une armée et une base d’opérations, au nord des insurrections partielles devaient éclater dans les principaux foyers de population pour attirer et fractionner les forces du gouvernement, et permettre au général Cruz de marcher sur Santiago, la capitale de la république. Joignez à ceci l’impuissance légale du gouvernement en présence du péril. Le général Cruz recrutait des soldats dans l’armée régulière elle-même, qui n’est que de deux mille hommes au Chili ; il enlevait des bataillons entiers placés dans le sud pour contenir les irruptions des Indiens. De toutes parts, les élémens de la prochaine insurrection se combinaient et s’organisaient. Le gouvernement ne pouvait point agir ; il ne pouvait lever de nouveaux bataillons sans l’autorisation préalable du congrès ; il ne pouvait faire arrêter le général Cruz, couvert par son inviolabilité de sénateur, ni les autres agens révolutionnaires garantis par leur droit de citoyens. Il fallait que l’insurrection éclatât : elle a éclaté en effet ; mais, malgré les circonstances qui la favorisaient, elle n’a été assez forte que pour plonger le pays dans la guerre civile, sans réussir sur aucun point. À Valparaiso, le mouvement révolutionnaire a été comprimé en quelques heures. Dans les provinces du nord, les insurgés se sont enfermés dans une ville, la Serena, où ils sont assiégés par le gouvernement, tandis que, d’un autre côté, le général Bulnes se trouvait, d’après les plus récentes nouvelles, en présence du général Cruz, auquel il avait déjà fait essuyer quelques pertes. Le sort du Chili est maintenant à la merci d’une bataille : c’est la paix ou la continuation de la guerre civile qui est au bout. Malheureusement, au milieu de ces agitations, tout est suspendu et paralysé au Chili. Le commerce de cet industrieux pays est dans une stagnation presque complète depuis quelques mois ; l’industrie a été frappée sur plusieurs points jusque dans ses sources mêmes. Un mouvement minier considérable s’était produit au Chili depuis quelques années, et avait pour principal théâtre les provinces du nord. Le 26 octobre, à Copiapo, près de deux mille ouvriers mineurs se soulevaient au cri de vive Cruz ! Ils violaient les propriétés, détruisaient les travaux, saccageaient les exploitations les plus importantes. Le commerce de ces contrées est anéanti en ce moment. Voilà quelle est la situation de la république naguère la plus florissante de tous les états sud-américains !

Rien n’est encore terminé, d’un autre côté, sur les bords de la Plata. Le général Urquiza parait avoir pénétré dans les provinces argentines à la tête d’une armée, et la lutte a dû infailliblement s’engager entre ce nouveau libérateur et Rosas. Quand notre mission arrivera dans la Plata, la question sera vidée sans nul doute. Quelle qu’en soit l’issue, la France ne peut que se fortifier dans le sentiment des dangers d’une immixtion trop directe dans les révolutions de ces