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de Jean Monteil. Monsieur l’aîné s’appelait Jean-Baptiste-Jacques. Il se vantait d’avoir vu les jésuites, mais là de vrais, de purs, de sincères jésuites, des jésuites comme on n’en voyait plus. Il avait vu M. le duc de Richelieu, et il l’avait flairé en passant comme on flaire un brin de muguet. À Toulouse, il avait été un des six mille lions qui avaient assiégé le Capitole ; il aurait pu être un des quinze écoliers qui se firent tuer à l’assaut de cette roche tarpeïenne. Malheur aux vaincus ! Cette fois ce fut le Capitole qui écrasa les Gaulois.

M. l’aîné portait le chapeau galonné et l’habit d’un parfait cavalier, moins l’épée ; il jouait de la guitare et donnait des sérénades aux jeunes pensionnaires de Sainte-Catherine. Évidemment il était né pour la guerre ; il s’appelait lui-même agathos (bon, brave à la guerre), comme dans les racines grecques : c’est pourquoi il voulut se faire avocat. Comment il fut reçu avocat, on n’en sait rien, à moins qu’il n’ait trouvé, pour l’interroger, ce bon M. de Lusignan, évêque de Rhodez. M. de Lusignan, comme il présidait un acte de théologie, eut pitié d’un jeune clerc qui était resté court et ne savait plus que répondre au docteur qui l’interrogeait. — Vous le troublez, dit M. de Lusignan au maître ès-arts, laissez-moi l’interroger, vous verrez s’il ne va pas répondre à merveille. En même temps il se tournait vers le jeune homme. — Mon ami, lui dit-il, quel âge avez-vous ? — Vingt ans, monseigneur. — Bon cela ! Comment se nomme votre père ? — Il s’appelle Jean Leroux. — Très bien ! Où logez-vous ? — A la ferme des Aulnes. — A merveille ! et combien avez-vous de sœurs ? — Trois. — De frères ? — Cinq. — Et ce matin qu’avez-vous fait ? — Je me suis levé… je me suis habillé… j’ai fait ma prière !… Alors le prélat interrompant le jeune clerc : — Voilà ce qui s’appelle répondre, mon enfant ! vous serez quelque jour un grand docteur.

M. l’aîné fut donc avocat, musicien et poète. Quand il fut reçu avocat, M. l’aîné voulut essayer son éloquence naissante sur un petit voleur de grand chemin, et son client ne fut condamné aux galères que pour toute sa vie. Alors, quand Jean Monteil vit réellement que son fils était un avocat pour tout de bon, il songea à le marier avec une sienne cousine d’au-delà des monts, dont le père était un riche agriculteur. Sur ce projet, voilà le vieux Jean Monteil qui franchit la montagne ; il arrive ; il est le bienvenu chez son cousin ; il fait ses offres, on ne lui dit pas : Non ! — Seulement, lui dit-on, je veux rendre la réponse sur vos terres, mon compère. Le fait est que, huit jours après la visite de Jean Monteil, il vit arriver chez lui son bon parent, le père de la fille à marier, lequel père était accompagné d’un certain M. de Montfol qui était bel et bien seigneur d’un fief, et le conseil de notre demi-manant. — Qu’en dit M. de Montfol ? demandait à chaque instant le père de la prétendue, et M. de Montfol répondait d’un geste équivoque. Ils virent tout,