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chagrin de son père, qui l’appelait un poltron, et qui n’était guère plus rassuré que lui.

Il n’y eut pas de promesse de mariage, il n’y eut pas d’autres fiançailles que les fiançailles de la mort ! Cet enfant succombait sous les atteintes d’un mal inconnu. Il avait souffert sans se rendre compte de ses souffrances, il se mourait sans savoir qu’il était malade. Il revint, un dimanche de septembre, à la maison paternelle : il avait froid, il était mouillé jusqu’aux os ; il se sécha au poêle en grelottant. Le froid amena la fièvre, et la fièvre emporta, en trois jours, tout l’espoir et tout le bonheur de ce père infortuné. « Je le perdis le 21 septembre 1833, à onze heures du soir. Je lui fermai les yeux. O plainte ! ô douleur ! ô mon enfant ! O mon cher Alexis, ma seconde ame ! Entends-tu, de là-haut, les larmes et les cris de ce malheureux qui fut ton père ! Reconnais-tu la voix de ce vieillard que tu aimais tant, qui t’aimait tant, que tu laisses seul sur la terre, la tête couverte de cheveux blancs et les bras vides ? »


VI

Ici s’arrêtent les derniers bonheurs de cet homme excellent entre tous les hommes qui, de nos jours, se sont fait un nom dans les lettres. Il avait fondé, sur cet enfant de son ame, toutes ses espérances, et l’enfant n’était plus. Adieu donc aux beaux rêves, aux vastes pensées, aux transports des noces prochaines, aux petits-enfans joyeux dont le père et le fils s’entretenaient dans leurs promenades solitaires ! adieu à cette grande métairie où la famille entière devait se cacher quand l’Histoire des Français serait complète… Il faut à cette heure acheter, non pas une métairie, un tombeau ! Savez-vous cependant que c’est chose hors de prix ces six pieds de terre perpétuelle qui se vendent aux cimetières publics ! Or ce père infortuné ne pouvait pas, en ce moment, trouver dans sa bourse épuisée un de ces domaines funèbres où le mort enfoui peut du moins reposer seul. Alors, pour que son fils échappât à cette misère, qui est regardée en notre pays d’égalité comme une honte, il fallut que ce malheureux père écrivît une humble supplique au bureau des pompes funèbres, dans laquelle il représentait qu’il était impossible de laisser disparaître au fond de l’horrible fosse, la fosse commune, un jeune homme qui avait usé sa jeunesse et sa vie à rechercher les titres de noblesse de cette partie de la nation qui travaille et qui porte la chaleur du jour. Il avait consacré déjà tant d’années à la première histoire où le peuple ait joué son rôle ! Sa lettre écrite, M. Monteil la porte aux bureaux de la préfecture de la Seine, et, chose étrange, il ne se trouva pas dans cette administration si paternelle de la ville de Paris un jeune homme assez instruit pour savoir quel