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au claquet du moulin, au bruit du soufflet de la forge vigilante ; il s’endormait aux derniers chants de l’oiseau célébrant la fin d’un beau jour. Les villageois le saluaient comme un bonhomme dont ils honoraient la pauvreté et la vieillesse ; il leur avait taillé, dans les registres de la paroisse, une généalogie à leur usage ; il avait retrouvé un Jean Brossard, dixième du nom, un Jacques Rousseau qui remontait, non pas sans étonnement, à son trisaïeul. Arbres généalogiques écrits sur les bouleaux et sur les saules de ces campagnes ! C’était un essai que faisait M. Monteil, un avancement d’hoirie à ces braves gens qu’il voulait récompenser avec un peu de cette gloire posthume qui éclaire à peine les tombes illustres. Un peu de bruit après soi dans ce monde où l’on passe, il n’y a pas de plus douce et de plus utile récompense ; c’est pourquoi M. Monteil écrivait l’histoire du village de Cély, afin que sur le plan de cette histoire modèle on pût dresser quelque jour l’histoire universelle des quarante-deux mille communes de France. Coeli enarrant gloriam tuam ! lui disions-nous dans un jeu de mots qui le faisait rire. Il a vécu jusqu’à la fin dans ces rêves, « et jamais, disait-il, je ne suis plus dispos que le matin, assis à ma table de travail, lorsque je vois ma pensée et le rayon d’en haut colorer mes rêveries des plus fraîches couleurs de l’espérance. »

Avant de mourir, il voulut réaliser un peu de cette joie à laquelle il avait rêvé toute sa vie. Il était bien pauvre, et cependant il a fondé dans son village de Cély, qui le croirait ? une médaille d’honneur, et pour la fondation perpétuelle de cette médaille d’argent, « ledit sieur Monteil, habitant du village de Cély (canton sud), consent à la vente de deux ares quatre centiares (quatre perches) de bois taillis, essences de chêne… » Lui-même, du fond de sa tombe, il désigne aux récompenses à venir l’homme qui aura desséché une mare du village, celui qui aura planté les plus belles treilles autour de sa maison ; il donne une médaille au plus habile laboureur, une médaille à la bonne garde-malade, une récompense à la bonne servante, à la villageoise conteuse de la veillée ou du lavoir qui ne dit que des fables décentes, une médaille au berger qui traite avec douceur les animaux confiés à sa garde et qui se rappelle que nous avons tous le même Créateur. C’est ainsi que ce galant homme ajoutait l’exemple au précepte, le bien faire au bien dire. — Et nous qui l’avons connu, qui l’avons aimé, nous qui étions dans le secret de ses ennuis et de ses espérances, nous ne pouvions pas le laisser disparaître dans l’ombre et dans le silence, entre deux révolutions, comme on fait justement pour les gloires inutiles, bonnes tout au plus, après tant de tumulte et d’écume, à compléter la poussière et le néant des futiles grandeurs de chaque jour !


JULES JANIN.