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aux pairs du roi Charles X, à ceux du roi Louis-Philippe. La mort de M. Laromiguière fut une grande perte pour M. Monteil ; il en resta effarouché pour le reste de ses jours ; son ami absent, il a vécu dans un isolement complet. Une distraction, une fête, un plaisir, une soirée, un dîner d’amis, une belle voix qui chante au piano, une réunion de beaux esprits et de femmes ajustées à ravir, les discours, les causeries, l’ironie et la vie à cinq ou six amis qui, de temps à autre ; s’abandonnent au plaisir de faire bonne chère et de boire à petits coups des vins choisis, ces heures légères durant lesquelles il est impossible de vieillir, M. Monteil ne les a pas connues. Il a vécu seul sans être un misanthrope, il a mangé du pain, il a bu de l’eau fraîche sans être un anachorète. Dans ce petit village de Cély, où les soins les plus tendres lui ont été prodigués par ses neveux et par sa nièce adoptive, il s’abandonnait à mille rêveries utiles ; il était comme ces grands collectionneurs qui, après avoir ramassé les plus belles estampes des premières écoles, finissent par recueillir des images. Après avoir écrit l’histoire entière de la France industrieuse, il se met à écrire, à ses heures, l’histoire du village en général, et particulièrement l’histoire de Cély, un livre qui eût été certes son plus beau livre et dont il ramassait les divers matériaux avec autant de soin que s’il eût voulu raconter de nouveau tout l’établissement du moyen-âge.

In tenui labor, at tenuis non gloria, si quis…

C’est du Virgile, et M. Monteil le, savait par cœur. Il aimait le village, il aimait principalement le village de Cély ; il en savait les mœurs, les habitudes, les fêtes, les travaux, les plaisirs. Il avait recueilli les gais noëls villageois et les noms inscrits sur les croix du cimetière ; il savait les dettes de la commune, il en connaissait les ressources ; il vous montrait d’un doigt intelligent ses diverses limites au nord, au sud, à l’orient : « L’église est au midi, le château est au nord. » De l’église, il vous disait tous les curés, du château, il vous disait tous les maîtres, à dater de l’an 1626, sous le roi Louis XIII surnommé le Juste parce qu’il était né sous le signe éclatant de la balance, à finir par Mme la marquise de Boisgelin, héritière de la maison de Harlay, Dans ces traces effacées, il avait retrouvé la trace savante de M. de Thou et les pas légers de M. de Cinq-Mars. Pas un champ de blé et pas un arpent de bois dont il ne racontât la généalogie. Ceci ? à la princesse de Talmond… cela ? à Jean Lecard. Il s’attachait surtout aux plantations, aux semailles, aux récoltes, aux vendanges ; il interrogeait les bergeries et les étables ; il décrivait à la façon d’un homme pratique les outils et les instrumens aratoires, reconnaissant à chaque pas les forces et les graces que la main de Dieu peut semer en un si petit espace : arbres et rochers, bois et prairies, vignes et jardins. Il s’éveillait