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pas moins leur danse joyeuse, sans paraître se douter du maléfice qui vient de les frapper. Faust, irrité de voir tout son bonheur anéanti par la vengeance d’une sorcière jalouse, s’élance du trône l’épée nue et la plonge dans le sein de la duchesse.

Méphistophéla, qui a évoqué ses coursiers noirs, semble agitée d’une pensée inquiète ; elle presse Faust de se remettre en route et disparaît avec lui dans les airs. Insensiblement, la mer a monté ; elle dévore tout, choses et hommes. Seules, les Lémures ne remarquent rien de ce qui se passe, et leur danse continue au son du joyeux tambourin jusqu’à ce que les flots atteignent leurs têtes, et que l’île entière soit submergée. Au-dessus des vagues fouettées par la tempête, là haut, au sein de l’espace, on aperçoit Faust et Méphistophéla chevauchant sur leurs noires montures.



ACTE CINQUIÈME


Vaste place devant une cathédrale, dont on aperçoit le portail gothique au fond de la scène. Des deux côtés de la place, bordure de tilleuls proprement taillés. Sous les arbres de gauche, groupes de bourgeois attablés, faisant bonne chère et vidant leurs chopines. Costumes des Pays-Bas au XVe siècle. Plus loin, des arbalétriers tirant à l’oiseau sur un papegai fixé au haut d’une longue perche. Partout, réjouissances et divertissemens d’une kermesse : boutiques, baraques, marionnettes, ménétriers, arlequins et groupes en goguette. Au milieu de la scène, une pelouse où dansent les notables de l’endroit.


L’oiseau est abattu, et l’heureux tireur, roi de la fête, fait sa tournée triomphale. C’est un gros brasseur, la tête couverte d’une énorme couronne garnie de grelots, la poitrine et le dos chamarrés de plaques d’argent ; ainsi accoutré, il se prélasse avec une vanité béate, et, à chaque pas, à chaque mouvement, fait résonner le cliquetis de sa royale parure. Des tambours et des fifres conduisent le cortége ; après eux marche le porte-bannière, espèce de magot aux jambes courtes, qui agite de la façon la plus drôle un drapeau gigantesque ; puis vient sa majesté, suivie cérémonieusement de tout le corps des arbalétriers. L’épais bourguemestre et sa non moins volumineuse moitié, attablés sous les tilleuls avec leur fille, reçoivent le respectueux salut de la bannière et du cortége qui défile ; la jeune fille, vierge aux tresses blondes de l’école flamande, effleurant de ses lèvres la coupe d’honneur, la présente au roi de la fête.

Des trompettes retentissent. Sur un haut chariot orné de feuillage, et attelé de deux chevaux noirs, entre le savantissime docteur Faust, revêtu d’un habit écarlate à broderies dorées. L’attelage est conduit par Méphistophéla, qui porte aussi un brillant costume charlatanesque : rubans, plumage, oripeaux de toute sorte. Elle s’avance, la trompette à la main ; de temps en temps elle sonne une fanfare, ou bien elle allèche la foule en dansant une réclame. Du haut de son chariot, autour duquel s’empressent les curieux, le prodigieux docteur débite, argent comptant, poudres et liqueurs de toute nature. Faust opère, à vue d’œil, des cures merveilleuses sur de misérables estropiés, qui le quittent en parfait état et se mettent à gambader de joie. Il finit par descendre de son véhicule, et distribue à la foule des fioles contenant un miraculeux