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que celui de Faust, lorsque, relégué dans la solitude de son cabinet d’études et entouré de ses bouquins, il s’écrie :


« Voilà donc ce que j’ai gagné par ma science ! En tout lieu, on se moque de moi. J’ai fouillé tous les livres d’un bout à l’autre, sans pouvoir y découvrir la pierre philosophale. Jurisprudence, médecine, études vaines ! Il ne me reste de salut que dans l’art de la nécromancie. À quoi m’a servi la théologie ? Qui me donnera le prix de mes veilles ? Je n’ai plus sur le corps que des haillons, et tant de dettes avec cela, que je ne sais plus à quel saint me vouer. Il faut que j’aie recours à l’enfer pour plonger dans les profondeurs cachées de la nature ; mais, pour évoquer les esprits, apprenons d’abord la magie. »


La scène qui suit contient les motifs les plus poétiques et les plus émouvans, des motifs dignes de la haute tragédie, et qui certainement sont empruntés à d’anciens poèmes dramatiques. Au premier rang, parmi ces poèmes, nous citerons le Faust de Marlowe, œuvre de génie, qui a servi de modèle aux jeux de marionnettes, tant pour le sujet que pour la forme. Ce Faust aura été imité par d’autres auteurs contemporains, et des fragmens de ces pièces auront passé ainsi dans les théâtres de marionnettes. Il est à présumer aussi que ces comédies anglaises ont été traduites en allemand et représentées par les troupes ambulantes qui jouaient aussi les plus beaux drames de Shakspeare. Il reste à peine quelques vestiges du répertoire de ces troupes ; si les versions allemandes, qui ne furent jamais imprimées, n’ont pas entièrement disparu, elles ne se sont conservées que sur les petits théâtres ou dans le bagage des troupes foraines du dernier rang.

C’est ainsi que je me rappelle avoir vu deux fois la vie de Faust représentée par quelques-uns de ces artistes vagabonds, non pas d’après des ouvrages modernes, mais probablement d’après des fragmens d’anciens drames disparus depuis long-temps. Je vis jouer la première de ces pièces, il y a vingt-cinq ans, sur les tréteaux d’un petit théâtre du Hamburger-Berg, faubourg qui sépare Hambourg d’Allona. Les démons y apparaissaient tous enveloppés de longs draps gris. À la question de Faust : Êtes-vous mâles ou femelles ? Ils répondaient : Nous n’avons point de sexe. Faust demande à voir leur forme cachée sous ce linceul gris ; ils répondent : « Nous n’avons point de forme à nous ; nous empruntons à ton gré la figure sous laquelle tu désires nous voir ; nous aurons constamment la forme de ta pensée. » Le pacte réglé, convention qui lui assure la science et la jouissance de toutes choses, Faust s’enquiert d’abord de la nature du ciel et de l’enfer, et de la description qui lui en est faite il conclut qu’il doit faire trop froid au ciel, trop chaud en enfer, et que la température de notre bonne terre d’ici-bas est certainement la meilleure. Il s’élance à la recherche du