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pris au hasard sur les grands chemins. On choisit de préférence les râcleurs de violon et les joueurs de flûte aveugles pour éviter le trouble que causerait leur effroi à la vue des horreurs du sabbat. Une scène affreuse surtout est l’affiliation des novices à la société maudite, cérémonie par laquelle les affiliées sont initiées aux mystères les plus épouvantables. La novice y consomme pour ainsi dire les épousailles avec l’enfer, et le diable, le sombre époux, lui assignant un nom particulier, un nom d’amour, applique, en gage d’alliance à la nouvelle mariée, un signe secret, souvenir indélébile de sa tendresse. Cette marque est tellement cachée, que, dans les procès intentés aux sorcières, les juges d’instruction ne la découvraient souvent qu’après les recherches les plus minutieuses. Le prince des enfers possède parmi les sorcières du sabbat une élue de son choix, favorite officielle qui porte le titre d’archisposa ou archifiancée. Son costume de bal est des plus simples et ne consiste qu’en un soulier d’or, ce qui lui a valu le nom de « la dame au soulier d’or. » C’est une grande et belle femme, presque colossale, car le diable n’est pas seulement connaisseur en belles formes comme un véritable artiste qu’il est, mais il est surtout grand amateur de matière charnelle, et plus il y a de chair, pense-t-il, plus le péché est gros. Dans son raffinement de turpitude et pour doubler la valeur du crime, il se garde de prendre pour archifiancée une jeune personne qui n’a pas encore contracté des devoirs conjugaux c’est toujours une femme mariée qu’il choisit, joignant ainsi à la simple fornication le délit plus grave de l’adultère. L’archifiancée en outre doit être excellente danseuse, et il est arrivé qu’on a vu à des sabbats d’une solennité extraordinaire l’auguste bouc descendre de son piédestal pour exécuter en personne, avec sa favorite officielle, une danse des plus singulières, « mais que, par un scrupule de conscience tout chrétien, » comme dirait le vieux Widman, je me garderai bien de décrire. Je me contenterai de dire ici que c’est une antique danse nationale de Gomorrhe, dont les traditions, échappées avec les filles de Loth à la destruction de cette ville maudite, se sont conservées jusqu’à nos jours telles que moi-même, grace à mes recherches savantes, j’ai pu les découvrir dans quelques bals publics de Paris.

À en croire certains auteurs, le grand bouc aurait coutume aussi de présider avec son archifiancée au banquet solennel qui clôt les jeux du sabbat. Les mets et la vaisselle, tout ce qu’on sert à ce festin est ce qu’il y a de plus précieux ; mais il serait inutile d’en rien soustraire, car le lendemain, en y regardant de près, au lieu de la timbale d’or, on ne trouverait plus qu’un méchant pot de terre, et, au lieu du gâteau, de la fiente de vache. Un trait caractéristique de ce singulier festin, c’est que le sel y manque complètement. Les chants dont se