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grande fabrique de quincaillerie du Zornoff, un système d’organisation qui prépare les regards au spectacle des clans plus larges et plus méthodiques de la Haute-Alsace. En procurant du travail à huit ou neuf cents ouvriers, cette usine est d’ailleurs d’un utile secours dans un district habité par de petits cultivateurs ou des bûcherons qui forment une des populations rurales de la France à la fois la plus misérable et la moins connue. À contempler du sommet d’un des monts voisins, dont les perspectives sont admirables, les villages parsemés dans la belle vallée que sillonne aujourd’hui le chemin de fer de Strasbourg, on ne croirait jamais avoir à ses pieds un pays aussi malheureux. On s’en étonne encore davantage, quand on sait que les habitudes de la vie sont ici extrêmement frugales, les mœurs régulières, et que les hommes ne redoutent pas le travail. D’où vient donc le mal signalé ? Trop de bras demandent au sol des moyens d’existence, et la besogne manque une bonne partie de l’année aux volontés les plus résolues. Ajoutez que nulle part peut-être en France, même en Alsace, les familles ne sont aussi nombreuses ; les chiffres vrais pourraient passer pour fabuleux, car il n’est pas rare de rencontrer dans une chaumière étroite et tristement garnie quinze et dix-huit enfans.

L’usine du Zornoff dresse ses murs noirâtres sur les bords du torrent de la Zorn, dont elle utilise les eaux tantôt rares et calmes, tantôt gonflées et fougueuses, et semant la ruine sur leurs rives envahies. Les ouvriers appartiennent en grande majorité au pays, et viennent chaque matin de différens villages situés dans un rayon de cinq à six kilomètres. Touchant de près à la terre, qui était jadis leur unique ressource, ils cherchent encore dans les travaux des champs un moyen d’utiliser ceux des membres de la famille qui ne sont pas employés à l’atelier. La sollicitude intelligente du chef de l’usine s’est appliquée à pousser la population dans la voie qu’indiquaient ses habitudes et ses goûts. La possession de quelque bétail étant ici la meilleure source de l’aisance, on a prêté sans intérêt, à tous ceux qui étaient en mesure d’en profiter, la somme nécessaire pour acheter une vache, une chèvre, un porc, des moutons, etc. Les familles ouvrières ont si largement usé de ce secours généreux, qu’en peu d’années le nombre des têtes de bétail a triplé dans la commune[1]. D’un autre côté, une caisse de secours mutuels, qui sert aussi des pensions aux veuves, aux vieillards et aux infirmes, habituait les esprits à la prévoyance, et fournissait aux ouvriers les moyens de s’assurer réciproquement les uns les autres contre les hasards de la maladie.

  1. Un capital de 10 000 francs placé en rentes sur l’état a été donné au département du Bas-Rhin en 1850 par le propriétaire de l’usine du Zornoff, M. Goldenberg. Ce don, accepté par le conseil-général, est destiné au soulagement de la misère dans les campagnes par l’encouragement de la production agricole.