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LES POPULATIONS OUVRIÈRES.

L’antique image du clan, qui dans le Bas-Rhin s’annonce au Zornoff, se reproduit en traits plus saillans dans le Haut-Rhin, entre les murailles d’immenses ateliers consacrés à l’industrie textile. On la retrouve surtout dans trois fabriques échelonnées au sein des Vosges, Munster, Guebwiller et Wesserling.

Le clan de Munster, situé dans la ravissante vallée de Saint-Grégoire, recouvre un emplacement occupé jadis par une célèbre abbaye dont le chef était prince de l’empire d’Allemagne. Aux chants des moines a succédé le battement des métiers ; à la prière, qui remplissait la plus grande partie du jour, cette autre manière de prier, plus rude et non moins agréable aux yeux de Dieu : le travail. La ruche industrielle de Munster rassemble à peu près trois mille individus employés à la filature, au tissage, au blanchiment ou à l’impression du coton. Qu’on juge d’abord de l’importance de l’usine : voici dans les ateliers de la filature soixante-quinze mille broches qui tournent incessamment sur elles-mêmes, tandis que dans le tissage les navettes courent sur plus de mille métiers. L’établissement est installé sur un pied splendide : partout un soin et une propreté qui rappellent le cloître. La déférence générale des ouvriers pour leurs chefs, la permanence du lien qui les unit à la manufacture, l’attachement qu’ils éprouvent pour leur état, sont les signes élémentaires du clan. Le contre-coup des agitations contemporaines a pu retentir jusqu’ici ; mais s’il a, sous certains rapports, affecté le mouvement des esprits, il n’a pas altéré, au moins d’une manière visible, les sentimens et les relations. La masse de la population ne parle de ceux qui l’emploient qu’avec respect, et s’identifie quelquefois avec eux dans son langage. Il faut entendre les ouvriers vanter, par exemple, avec une sorte d’orgueil, les travaux accomplis pour embellir un site envers lequel la nature avait été prodigue de ses dons : ces eaux encaissées dans des canaux au-dessus de leur niveau naturel, ces montagnes transformées en jardins anglais, ces immenses serres remplies des arbustes les plus rares, cette laiterie magnifique, tout ce luxe enfin qui presque toujours s’allie à une idée d’utilité. Les travailleurs restent dans l’établissement de père en fils. Tel tisserand fait mouvoir un métier depuis vingt-cinq années, et il s’associe dans sa pensée à toutes les phases de sa propre existence. Cette union, à peu près indissoluble, agit naturellement sur le régime intérieur : les égards envers des hommes dont on a étudié depuis long-temps le caractère se combinent avec les exigences de la discipline. L’organisation des ateliers est fort simple : le travail s’exécute généralement à la tâche, mode qui prévaut presque en tous lieux, et qui, malgré des inconvéniens réels, est, en effet, préférable au système de la journée. La séparation des sexes est à peu près absolue. Au dehors de l’établissement, la plupart des ouvriers s’occupent un peu de cul-