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soient pourvues d’écoles, on a institué différentes classes intérieures, dont l’une remonte à 1810, mais dont le programme devrait être un peu élargi.

Moeurs et caractères offrent à Wesserling quelques traits saillans et tout-à-fait singuliers. Au milieu du mouvement inhérent à la vie industrielle, on aperçoit toujours la trace des coutumes simples et paisibles, long-temps héréditaires dans ces montagnes. L’organisation du clan était de nature à servir de rempart contre les mauvaises influences du dehors. Dans ce pays où presque tous les ouvriers sont catholiques et respectent profondément les ministres de leur culte, les idées religieuses ont été aussi un moyen de résistance contre la démoralisation. Ainsi le concubinage, fait rare, est regardé comme un scandale. On se marie de très bonne heure, et les familles, qui sont fort nombreuses, restent en général assez unies. Il faut les voir le dimanche, pendant l’été, descendre les collines pour aller aux fêtes des villages environnans : le père a quelquefois deux enfans sur les bras ; la mère porte le plus jeune, tandis que cinq ou six autres suivent le long du sentier. Les chefs de l’usine tiennent au besoin la main à ce que le faisceau de la famille se conserve le plus long-temps possible, et à ce que les enfans restent sous le toit paternel jusqu’à l’âge où doit commencer pour eux une destinée plus libre. Quoique le vice endémique de l’Alsace, l’ivrognerie, règne assez despotiquement parmi cette population, on a remarqué depuis quelques années un fait heureux et significatif : la consommation du vin a diminué dans les cabarets et s’est accrue dans les familles.

Le désir du bien-être, très vivace et très répandu parmi les ouvriers, n’a pas aveuglé les esprits au point de leur faire méconnaître les services rendus par la fabrique. S’il se rencontre ici comme partout quelques mécontens, ils n’accusent pas les patrons du mal dont ils se plaignent ; ils s’en prennent plutôt à des commis dont ils jalousent le sort, ou aux contre-maîtres, qui sont dans le système d’organisation intérieure les intermédiaires obligés, mais quelquefois peu sûrs, des ouvriers avec les chefs. Quant à la masse, elle s’entend assez bien à raisonner sur ses intérêts à l’aide de son seul bon sens. Les esprits ont une naturelle vivacité qu’aiguillonne encore une certaine vie intellectuelle. Les ouvriers de Wesserling aiment à lire ou du moins à entendre lire, et il n’est pas rare de voir, le dimanche ou le soir des jours d’été, surtout depuis que le travail est réduit à douze heures[1],

  1. On ne saurait se figurer jusqu’à quel point la limitation du travail à douze heures est regardée comme une conquête parmi les populations laborieuses. Nous avons entendu un ouvrier, associant deux idées d’un ordre très différent, dire, à propos des discussions sur le suffrage universel : « On veut nous ravir le droit de voter pour nous ramener aux seize heures de travail. »