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le pria de le laisser parler quelques instans à son tour et de l’écouter avec patience. — A mon sens, commença-t-il, les fondateurs de l’état romain ont été des hommes sages et prévoyans ; pour que chacun sût bien son métier, ils ont fait de ceux-ci les gardiens de la loi, de ceux-là les gardiens de la sûreté publique, et, n’ayant pas d’autre occupation au monde que de s’exercer au maniement des armes, de s’aguerrir et de se battre, ces derniers ont composé une classe de gens excellens pour protéger les autres. Nos législateurs établirent en outre une troisième classe, celle des colons qui cultivent la terre : il était bien juste qu’au moyen de l’annone militaire cette classe nourrît ceux qui la protègent. Ce n’est pas tout : ils créèrent des conservateurs de l’équité et du droit au profit des faibles et des incapables, des défenseurs juridiques pour ceux qui ne sauraient pas se défendre. Cela posé, qu’y a-t-il de si injuste à ce que le juge et l’avocat soient payés par le plaideur, comme le soldat par le paysan ? Celui qui reçoit le service doit tribut à celui qui le rend, et le bon office doit être mutuel. Le cavalier ne fait que gagner à soigner son cheval, le berger ses boeufs, le chasseur ses chiens. S’il y a de mauvais plaideurs qui se ruinent en procès, tant pis pour eux ! et, quant à la longueur des affaires, elle tient la plupart du temps à la nécessité de les éclaircir, et mieux vaut, après tout, une bonne sentence qui s’est fait attendre qu’une mauvaise sentence improvisée. Risquer de commettre l’injustice, ce n’est pas seulement nuire aux hommes, c’est encore offenser Dieu, l’inventeur de la justice. Les lois sont publiques, tout le monde les connaît ou peut les connaître ; l’empereur lui-même leur obéit. Votre accusation sur l’impunité des grands est vraie quelquefois, mais applicable à tous les peuples, et le pauvre lui-même peut échapper à la peine, si l’on ne trouve pas de preuves suffisantes de sa culpabilité. Vous vous félicitez du don de votre liberté ; rendez-en grace à la fortune, et non point à votre maître. En vous menant à la guerre, vous homme civil, il pouvait vous faire tuer, et, si vous aviez fui, il pouvait vous tuer lui-même. Les Romains n’ont point cette dureté ; leurs lois garantissent la vie de l’esclave contre les sévices du maître : elles lui assurent la jouissance de son pécule, et elles l’élèvent par l’affranchissement à la condition des hommes libres, tandis qu’ici, pour la moindre faute, c’est la mort qui le menace.

Cette vue élevée de la civilisation, ce tableau des protections diverses qui entourent l’individu sous les gouvernemens policés, sembla remuer vivement l’interlocuteur de Priscus, qui ne cherchait vraisemblablement, en accumulant sophismes sur sophismes, qu’à étouffer en lui-même quelques remords et à combattre quelques regrets. Ses yeux parurent mouillés de larmes, puis il s’écria : — Les lois des Romains sont bonnes, leur république est bien ordonnée, mais les mauvais