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tarderait pas à le rendre suspect. — Évidemment le ministre de Théodose n’avait rien à faire de ce côté.

Cependant la reine Kerka attendait ses présens : Priscus fut encore chargé de les lui présenter. Elle les reçut dans une pièce de son élégant palais recouverte d’un tapis de laine ; elle-même était assise sur des coussins et entourée de ses femmes et de ses serviteurs accroupis en cercle autour d’elle, les hommes d’un côté et les femmes de l’autre ; celles-ci travaillaient à passer des fils d’or et de soie dans des pièces d’étoffes destinées à relever les vêtemens des hommes. En sortant du palais de la reine, Priscus entendit un grand bruit, et vit courir une grande foule à laquelle il se mêla. Il aperçut bientôt Attila, qui, flanqué d’Onégèse, vint se placer devant la porte de sa maison pour y rendre la justice. Sa contenance était grave, et il s’assit en silence. Ceux qui avaient des procès à faire juger s’approchèrent à tour de rôle ; il les jugea tous, puis il rentra pour recevoir des députés qui lui arrivaient de plusieurs pays barbares.

L’enclos du palais d’Attila était une sorte de promenade où les ambassadeurs circulaient librement en attendant les audiences soit du roi, soit de son ministre ; ils pouvaient aller, venir, tout observer, aucun garde ne les y gênant. Priscus s’y rencontra face à face avec le comte Romulus et ses collègues de l’ambassade d’Occident, lesquels se promenaient en compagnie de deux secrétaires d’Attila, Constancius et Constanciolus, tous deux Pannoniens, et de ce Rusticius qui avait accompagné volontairement l’ambassade d’Orient, et venait de se faire attacher comme scribe à la chancellerie du roi des Huns. « Comment vont vos affaires ? » fut la question que Rornulus et lui s’adressèrent d’abord. Elles ne marchaient pas plus vite d’un côté que de l’autre ; rien ne pouvait fléchir la résolution d’Attila vis-à-vis de l’empire d’Occident : il lui fallait le banquier Sylvanus ou les vases de Sirmium. Comme plusieurs des assistans se récriaient sur l’opiniâtreté déraisonnable de l’esprit barbare, Romulus, que son expérience des hautes affaires faisait toujours écouter avec intérêt, dit, en poussant un soupir : « Oui, la fortune et la puissance ont tellement gâté cet homme, qu’il n’y a plus de place dans son oreille pour des raisons justes, à moins qu’elles ne lui plaisent. Avouons aussi que, soit en Scythie, soit ailleurs, personne n’a jamais accompli de plus grandes choses en moins de temps : maître de la Scythie entière, jusqu’aux îles de l’Océan, il nous a rendus ses tributaires, et voilà qu’il couve encore de plus grands desseins, et qu’il veut entreprendre la conquête des Perses. — Des Perses ! interrompit un des assistans ; mais quel chemin peut le conduire de Scythie en Perse ? — Un chemin fort court, reprit Romulus. Les montagnes de la dédie ne sont pas éloignées des tribus