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plus noble but de la vie, elle lui demande par l’organe des statisticiens si la séparation et l’antipathie des classes sont le but de la société. Il n’est pas un membre de l’aristocratie tory qui n’exprime les mêmes opinions que M. Kingsley, qui ne constate les mêmes faits et ne les attribue aux mêmes causes. « L’antipathie et l’isolement des classes, — peut-on lire dans un livre intitulé l’Angleterre telle qu’elle est, par M. Jonhston, tory déclaré, — la séparation entre les riches et les pauvres, sont le grand mal de notre temps. Des institutions favorables au développement de l’instruction scientifique et littéraire ont été établies, des parcs ont été plantés pour les promenades et les récréations des classes inférieures, même des clubs sur un modèle tant soit peu aristocratique, où le luxe et le comfort sont fournis à de bas prix, ont été fondés ; tout cela sans succès. Mais, — ce qui serait plus désirable, — le sentiment d’une reconnaissance mutuelle et sympathique de la différence des conditions, une tendre et cordiale condescendance d’un côté, un dévouement également cordial, mais respectueux de l’autre, — tous ces sentimens semblent faire peu de progrès. » Ce sont les explications que donne M. Kingsley du mal social.

Il y a donc comme une sorte d’alliance politique, dans l’Angleterre actuelle, entre la démocratie et l’aristocratie. La situation politique et les opinions des partis depuis quelques années peuvent se résumer en deux mots : l’aristocratie tory et la démocratie pensent que tout va mal et que les affaires ne peuvent marcher plus long-temps ainsi ; l’aristocratie libérale et les classes moyennes pensent que tout va bien, et qu’il n’y a qu’à continuer. L’aristocratie est, comme on le voit, divisée en deux fractions, dont chacune donne la main à toute une classe de la société. Le pouvoir n’est pas près de lui échapper, quoi qu’il arrive ; aussi n’est-ce point là le danger immédiat : le véritable danger de l’Angleterre, c’est le refroidissement sensible du sentiment religieux, c’est cette confusion de principes qui s’opère de plus en plus, et qui, remplissant de doutes les cerveaux, pousse vers l’athéisme, vers Rome ou vers les plus chimériques et les plus fantastiques doctrines, les deux catégories de personnes que De Maistre appelait les deux racines de la société, les jeunes gens et les femmes, Le danger est dans la stérilité de plus en plus prononcée des croyances officielles, qui ont été et qui sont encore l’ame de l’Angleterre. « J’ai voulu montrer, dit M. Kingsley dans la préface de Yeast, quelle était la manière de penser des jeunes gens d’aujourd’hui et les idées qui fermentent parmi eux. De nos jours, les jeunes gens et les femmes se détachent avec une effrayante facilité de leurs parens, et aussi facilement se détachent-ils les uns des autres. Je serai suffisamment récompensé de mes peines, si je puis espérer, ne fût-ce que chez une seule personne, de tourner les cœurs des parens vers leurs enfans, les cœurs des enfans vers leurs parens, avant que le grandet terrible jour du Seigneur n’arrive, comme assurément il arrivera,