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Les théâtres lyriques et l’art musical tout entier semblent arrivés à une de ces époques d’épuisement dont il est aussi difficile d’indiquer la durée que de prévoir la solution. Le double mouvement d’initiation qui s’est fait, au commencement de ce siècle, en Allemagne par Beethoven, Weber, Schubert et Mendelssohn, en Italie par Rossini et ses imitateurs, a produit ses meilleurs effets, et ce fleuve magnifique, dont nous admirons depuis cinquante ans le cours impétueux, n’est plus aujourd’hui qu’un maigre ruisseau qui va se perdre dans les sables arides. Aucun homme important ne s’est produit en Allemagne depuis la grande génération dont nous venons de parler ; l’Italie, de toutes parts envahie par la décadence, s’étourdit de son mieux au bruit des opéras de M. Verdi, qui n’ont pu s’acclimater encore hors du pays qui les a vus naître, et la France, ce carrefour du monde, en est réduite à écouter les vagissemens des infiniment petits. M. Auber se repose à l’abri de sa gloire charmante ; M. Halévy va de nouveau tenter la fortune par un grand ouvrage, le Juif errant, dont les répétitions se poursuivent avec activité, en attendant que la santé ébranlée de Meyerbeer lui permette de livrer à la curiosité du public la partition de l’Africaine, qui est terminée depuis long-temps. Lorsqu’au milieu d’une nombreuse compagnie il se fait tout à coup un profond silence, il y a un dicton italien qui dit : Nasce un papa (un pape vient au monde). Si le silence qui se fait autour de la France depuis quelque temps pouvait produire un résultat semblable en favorisant la naissance d’un vrai génie musical, il serait le bienvenu ; l’autorité du maître s’établirait sans efforts, et ne trouverait en Europe que des cœurs soumis. Quoi qu’il en soit de l’avenir, l’Opéra vient de reprendre le Guillaume Tell de Rossini, qui avait été à peu près délaissé depuis la retraite de M. Duprez.

Voyez un peu quel est le sort des meilleures choses ici-bas ! Voici la plus belle partition qui ait été composée en France depuis les chefs-d’œuvre de Gluck. Cette musique grandiose, limpide et touchante, si bien écrite pour les voix, si bien écrite pour les instrumens, qu’il n’y a qu’à la lire pour en comprendre tout de suite les beautés, magnifiques, à failli cependant passer presque inaperçue devant le public parisien de l’an de grace 1827, et il n’a fallu rien moins que le talent exceptionnel d’un virtuose éminent, pour remettre en lumière cette œuvre colossale, qui se recommande précisément par l’éclat et la couleur des mélodies. M. Duprez ayant consumé en peu d’années la voix sonore et un peu factice qu’il s’était créée, le chef-d’œuvre de Rossini retomba dans l’obscurité d’où l’avait tiré cet artiste distingué, qui devra à cette restauration la partie durable de sa renommée. Enfin la rencontre d’un jeune élève du Conservatoire qui possède une assez belle voix de ténor et quelques dispositions de chanteur, dont on a voulu exagérer la portée, a permis à la direction de l’Opéra de reprendre ce grand et bel ouvrage, qui n’aurait jamais dû quitter le répertoire. Le rôle d’Arnold, créé par Nourrit et repris par M. Duprez en 1837 avec un succès qui ne saurait être oublié, a été confié par l’administration de l’Opéra à M. Gueymard, élève du Conservatoire, dont elle encourage depuis deux ou trois ans les laborieux débuts. Rien n’est plus légitime assurément que cette vigilance de la direction d’un grand théâtre lyrique, dont le nombreux personnel a besoin d’être composé d’élémens divers et depuis long-temps éprouvés. Il serait même à désirer qu’au lieu de surexciter la curiosité du public par des virtuoses de passage, comme Mlle Alboni, dont la merveilleuse