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curiosité de quelques vieux amateurs, il a fallu abandonner cette opérette, dont plus grand mérite est d’avoir inspiré à Paisiello son chef-d’œuvre. La Nina du maître italien a été composée à Naples en 1787, juste un an après celle de Dalayrac. C’est tout ce qu’il y a de commun entre ces deux ouvrages, qui semblent nés cinquante ans l’un après l’autre.

Malgré une assez grande activité et l’apparition successive de quelques artistes de mérite, le Théâtre-Italien a bien de la peine à ramener à lui ce public choisi qui remplissait autrefois la salle Ventadour. Les révolutions politiques qui ont brisé tant de fortunes et qui ont inquiété les plus belles existences, l’épuisement d’un répertoire connu depuis vingt ans, et la dispersion de ce groupe de virtuoses éminens qui ont émerveillé Paris de 1830 à 1840, telles sont les principales causes de la situation difficile où se trouve aujourd’hui le Théâtre-Italien. Ni le talent de M. Beletti, dont la voix de baryton un peu gutturale pourrait être plus agréable et dirigée par une méthode plus sûre, ni M. Ferlotti, autre baryton qui chante aussi avec goût, ni même M. Guasco, ténor remarquable, dont le style vigoureux et plein d’élévation produit encore de l’effet, malgré la fatigue extrême dont son bel organe accuse l’influence, ne sont des élémens suffisans pour attirer l’attention d’un public distrait et soucieux. Mlle Cruvelli et quelques opéras monotones et laborieux de M. Verdi, voilà tout ce qui reste à la direction du Théâtre-Italien pour conjurer les dieux ennemis de sa prospérité. Dans cet état de choses, on a eu la pensée de mettre à l’étude le Fidelio de Beethoven, qui a été chanté à Paris, en 1830, par une troupe de chanteurs allemands, où brillaient en première ligne Mme Schroeder-Devrient et le ténor Hatzinger.

Dans l’œuvre immense de Beethoven, l’opéra de Fidelio n’a jamais été qu’une curiosité. C’est en 1803 qu’il commença à écrire cet ouvrage à l’instigation de son ami Salieri, qui lui donna le conseil d’essayer les forces de son génie dans un genre où Haydn avait échoué, et qui n’avait réussi à Mozart que parce que rien n’était impossible au plus universel des musiciens. Du reste, il n’y a rien de plus ordinaire que de rencontrer dans le monde des gens comme Salieri, qui s’empressent de vous pousser hors de la voie où vous marchez en maître et sans rival. Beethoven fit donc traduire un mauvais mélodrame français intitulé le Triomphe de l’Amour conjugal, qui avait été déjà mis en musique par Gaveaux en 1779, et il l’appropria aux tendances de son génie. Représenté pour la première fois à Prague, en 1805, Fidelio n’y eut point de succès. Beethoven retoucha la partition, refit un acte tout entier, ajouta une ouverture, et, sous cette nouvelle forme, l’opéra fut donné à Vienne, où il reçut un meilleur accueil. Peu satisfait encore de l’ensemble de son ouvrage, Beethoven y porta de nouveau la main, développa certains morceaux, en supprima d’autres, et ce n’est qu’après des tâtonnemens infinis que l’opéra de Fidelio reparut devant le public en 1816. C’est alors seulement que l’Allemagne se prit d’un certain intérêt pour le seul ouvrage dramatique d’un génie prodigieux, qui avait agrandi toutes les formes de la musique instrumentale. Par une illusion qui est bien naturelle à l’esprit humain, on fit rejaillir sur Fidelio la gloire que Beethoven s’était acquise dans la symphonie, et l’on s’efforça de voir, dans cet enfant un peu chétif, un fils tout-à-fait digne de la grandeur de son père. Cette illusion a été plus ou moins partagée par l’Europe.