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Le sujet de Fidelio est très simple. Un prisonnier d’état, Fernand, gémit dans un cachot, où il a été jeté par un ennemi politique qu’on appelle le gouverneur. La femme de Fernand, Léonore, pour sauver son mari qu’elle aime et qu’elle n’a pas vu depuis long-temps, prend un déguisement d’homme. Sous les traits et le nom emprunté de Fidelio, elle va offrir ses services au geôlier de la prison où est enfermé son mari. Fidelio gagne la confiance du geôlier en touchant le cœur de Marceline, sa fille, qu’il doit épouser. Grace à ce pieux stratagème, Léonore, sous le nom et le costume de Fidelio, pénètre dans le cachot de son époux, qu’elle arrache à la mort qu’il devait bientôt subir par l’ordre du gouverneur. Tel est le canevas sur lequel Beethoven a jeté quelques éclairs de son magnifique génie. Au premier acte, on remarque le duo pour ténor et soprano entre Marceline, la fille du geôlier, et son prétendant, — duo qui est une imitation flagrante de la manière de Mozart, et qu’on dirait avoir été arraché à la partition du Mariage de Figaro ; l’air de Marceline, qui n’est pas plus original que le premier morceau ; un charmant quatuor en canon, c’est-à-dire sous une forme qui oblige chaque partie à reproduire la même phrase mélodique avec des paroles différentes ; les couplets du geôlier, qui ne manquent pas de rondeur, et puis un assez beau trio pour basse et deux soprani entre le geôlier, sa fille et Fidelio, où l’influence de Mozart se trahit encore d’une manière sensible, et dont le défaut capital est d’être trop long. Le second acte commence par une jolie marche militaire ; vient ensuite un air de basse que chante le gouverneur, et dans lequel il exprime le plaisir de la vengeance qu’il se promet de goûter bientôt ; l’air de Léonore, dont l’andante en mi-majeur n’est pas sans quelque analogie avec le bel air que chante Agathe dans le Freyschütz ; puis enfin le finale qui débute par l’admirable chœur des prisonniers, célèbre dans toute l’Europe. Au troisième acte (car nous suivons dans cette analyse la distribution de la partition allemande), se trouve d’abord un air très passionné de ténor chanté par Fernand ; puis vient le duo rempli de sombres pressentimens entre le geôlier et Fidelio, et qu’ils chantent pendant qu’ils fouillent la terre de la prison, pour y trouver la citerne fatale où doit être précipité le pauvre prisonnier. Ce duo, pour basse et soprano, est tout-à-fait digne de Beethoven, si l’on excepte quelques vocalises en triolets qu’il a mises dans la bouche de Léonore, et qui forment là un grossier contre-sens avec la situation de cette femme condamnée à creuser la fosse de l’époux qu’elle adore. Un trio entre le geôlier, le prisonnier et Fidelio respire une tendre émotion. Enfin, dans un quatuor énergique, sont exprimées les passions diverses et compliquées qui agitent le gouverneur, le geôlier tremblant, Léonore et son mari, dont elle se fait tout à coup le champion victorieux. La stretta de ce morceau vraiment dramatique est séparée du commencement par quelques sons de trompette qui annoncent l’arrivée d’un personnage important et l’approche de la péripétie dernière. Le bonheur des deux époux qui se retrouvent après une absence si longue et si cruelle est rendu par un duo chaleureux, et le tout se termine par un énergique finale.

Tout drame lyrique traduit dans une langue étrangère perd nécessairement quelque chose de son originalité native ; mais, si ce drame lyrique a été conçu par un génie puissant et pour un peuple dont les mœurs, les goûts et l’imagination s’alimentent à des sources autochtones, il sera encore plus difficile de